A la mémoire d’ALLENDE
A l’occasion de la mort prématurée, en fait avant un procès hypothétique, de PINOCHET, j’ai fait une brève sur cet événement.
Cela a déclenché, comme un autre article sur ALLENDE, une série de commentaire sur le pseudo passé pro nazi d’ALLENDE. Comme je l’ai souvent expliqué, cela est tiré d’une thèse tirée du livre d’un certain Victor FARIAS.
Ce qui est étonnant, c’est que cette thèse circule beaucoup sur les sites internet de la mouvance d’extrême droite. C’est très souvent un paravent qui permet de salir la mémoire d’ALLENDE, pour mieux justifié un réel soutien au dictateur PINOCHET.
Pour clore ce débat sur ce blog, je livre aux internautes, une fois de plus des éléments pour casser cette thèse nauséabonde.
C’est un peu long, désolé.
DH
ELISABETH ROUDINESCO
LA MÉMOIRE SALIE D'ALLENDE
"Il faut combattre toutes les formes de scientisme et de biocratie qui existent aujourd’hui."
Cette polémique à propos de l'attaque déraisonnable de Farias contre Allende rappellera les psychothérapeutes relationnels à leurs devoirs d'intellectuels, vigilants à ne jamais se laisser embarquer par l'apparence du politiquement correct associé au médiatiquement fumant ou tout simplement du "scientifiquement admis", à l'instar de l'Inserm décrétant sur fausses preuves les Thérapies comportementales et cognitives étalon scientiste à l'aune duquel il conviendrait de soumettre et réduire la souffrance et son traitement à leurs mesures, et d'évacuer les pratiques des professionnels du psychisme prenant en charge le processus de subjectivation. Qualifier les faits en toute rigueur et s'arracher au spectaculaire pour atteindre au minimum de vérité critique en tenant compte d'une réalité historique soigneusement établie représente une pratique de la méthode qui fait à nos yeux de l'article d'É. Roudinesco un exemple à méditer. Le débat intellectuel est nôtre, et l'affaire Heidegger qui revient ici par la bande, nous concerne d'autant plus que la psychothérapie relationnelle plonge certaines de ses racines dans la phénoménologie. Nous aurons peut être ici-même l'occasion d'y revenir. Pour l'instant participez par la lecture au débat sur la pseudo qualification d'Allende en taupe nazie, qui prouve qu'il est toujours sain de savoir, raison gardant, veiller à certains effets médiatiques et aux intoxications qu'ils peuvent induire. C'est dans cet esprit qu'à la Rentrée nous serons au rendez-vous pour veiller, en toute rigueur humaniste, au respect d'un cadre autorisant psychanalystes et praticiens en psychothérapie relationnelle à transmettre et pratiquer leur discipline, au service d'un public qui en a besoin, sans avoir à pâtir du bénéfice dénaturant d'un dispositif contradictoire avec leur épistémologie et leur éthique propre. Ph. Grauer
Rebonds
Comme il l'avait fait avec Heidegger, l'universitaire Victor Farias
décrit l'ancien président chilien en nazi.
La mémoire salie d'Allende
Par Élisabeth Roudinesco directrice de recherches au département d'histoire de
l'université de Paris-VII. (12/07/2005)
n se souvient qu'en 1987 Victor Farias, universitaire chilien, professeur à l'Université libre de Berlin, et ancien élève de Martin Heidegger avait semé le trouble dans la communauté intellectuelle française en publiant un livre dans lequel il prétendait interpréter l'ensemble de l'œuvre du philosophe allemand à la lumière du soutien que celui-ci avait apporté au régime nazi entre 1933 à 1945. L'ouvrage relevait d'une méthodologie pour le moins discutable puisqu'elle consistait à valider des convictions intimes sans jamais les soumettre à l'épreuve du doute et tout en ayant l'air de les déduire d'un savant travail archivistique. Comme Heidegger avait bel et bien été nazi, et que, depuis 1945, de multiples travaux n'avaient pas cessé d'en apporter de nouvelles preuves, Farias bénéficia en France d'une forte sympathie. Emporté par sa passion vengeresse, Farias s'est mis en tête, dans son dernier ouvrage, de désacraliser l'histoire de son pays, en prétendant apporter la preuve que Salvador Allende, mort le 11 septembre 1973, après avoir livré combat contre la junte militaire dirigée par Augusto Pinochet, ne serait en réalité qu'un adepte de la solution finale, antisémite, homophobe et pourfendeur de races inférieures : en bref, un nazi déguisé en socialiste (1).
Pour comprendre comment Farias a pu en arriver à une telle dérive, il faut revenir à l'année 1933. A cette date, en mai, le jeune Allende, âgé de 25 ans, présenta devant ses maîtres de l'université de Santiago, une thèse pour l'obtention du titre de médecin. Déjà engagé dans la gauche socialiste, il avait pris pour thème de son mémoire la question de l'hygiène mentale et de la criminalité (2).
Comme la quasi-totalité des médecins hygiénistes de sa génération, formés à la théorie dite de «l'hérédité-dégénérescence», laquelle avait été importée sur le continent latino-américain dès le début du siècle, le jeune Allende croyait que chaque individu déviant avait des «tares», liées aussi bien à une appartenance dite «raciale» qu'à des traits de caractère ou à des maladies dites «héréditaires» (alcoolisme, tuberculose, maladies vénériennes). Pour traiter l'ensemble de ces pathologies, dont on pensait qu'elles débouchaient sur le crime ou la délinquance, il préconisait la création d'un hygiénisme d'État. Et pour les homosexuels, il proposait en citant des cas de l'école allemande un traitement endocrinologique.
En Allemagne, ce furent des médecins des Lumières, Rudolf Virchow (1821-1902) par exemple qui inventèrent la biocratie, c'est-à-dire l'art de gouverner les peuples par les sciences de la vie. Conservateurs ou progressistes, ces hommes de science, intègres et vertueux, avaient pris conscience des méfaits que l'industrialisation faisait peser sur l'âme et le physique d'un prolétariat de plus en plus exploité dans des usines malsaines. Hostiles à la religion, dont ils pensaient qu'elle égarait les hommes par de faux préceptes moraux, ils voulaient combattre toutes les formes dites de «dégénérescence» liées à l'avènement du capitalisme. Aussi avaient-ils imaginé l'utopie d'un «homme nouveau» régénéré par la science. Et ils furent imités par les communistes et les fondateurs du sionisme, Max Nordau, notamment, lequel voyait dans le retour à la Terre
promise, la seule manière de libérer les juifs européens de l'abâtardissement où les avaient plongés l'antisémitisme et la haine de soi juive. Favorables à une maîtrise de la procréation et à la liberté des femmes, ces médecins avaient mis en oeuvre un programme eugéniste par lequel ils incitaient la population à se purifier grâce à des mariages médicalement contrôlés. Certains d'entre eux, comme le psychiatre freudien Magnus Hirschfeld (1868-1935), dont les ouvrages seront brûlés par les nazis, adhéra à ce programme, convaincu qu'un homosexuel de type nouveau pouvait être créé par la science.
On connaît la suite. À partir de 1920, dans une Allemagne exsangue et vaincue, les héritiers de cette biocratie poursuivirent ce programme en y ajoutant l'euthanasie et les pratiques systématiques de stérilisation. Hantés par la terreur du déclin de leur «race», ils inventèrent alors la notion de «valeur de vie négative» convaincus que certaines vies ne valaient pas la peine d'être vécues : celle des sujets atteints d'un mal incurable, celle des malades mentaux et enfin celle des races dites inférieures. La figure héroïsée de l'homme nouveau inventée par la science la plus civilisée du monde se retourna alors en son contraire, en un visage immonde, celui de la race des seigneurs revêtue de l'uniforme de la SS.
Dans son mémoire de 156 pages, divisé en six parties, Allende exposait donc, en 1933, de la manière la plus académique, des théories scientistes qui avaient été adoptées à la fin du XIXe siècle sur la lancée du darwinisme par les plus hautes autorités de la science médicale européenne. Mais à aucun moment, il ne se réclamait de l'eugénisme
éradicateur qui était en train de devenir en Allemagne la composante majeure de la biocratie nazie. Une seule fois, il employait le terme d'euthanasie pour souligner qu'elle était un équivalent moderne de l'ancienne Roche Tarpéienne d'où l'on précipitait à Rome les condamnés à mort.
Et d'ailleurs, c'est à l'école italienne, et non pas allemande, qu'il empruntait la plupart de ses références, et notamment au célèbre Cesare Lombroso (1836-1909), dont l'enseignement avait marqué tous les spécialistes de l'anthropologie criminelle (ou criminologie). Issu de la bourgeoisie juive de Vérone, ce médecin socialiste avait été l'adepte de la phrénologie avant de mettre au point sa doctrine du «criminel-né» à partir d'une bien curieuse expérience.
En 1870, il avait cru déceler dans la boîte crânienne d'un brigand toute une série d'anomalies et, de là, il en avait déduit que l'homme criminel était un individu marqué par les stigmates d'une animalité sauvage. En conséquence, il en était venu à rattacher chaque race à une typologie criminelle spécifique. Dans un texte de 1899 sur «Le délit, ses causes et ses remèdes», il avait décrit les comportements délictueux des Arabes bédouins, de certains Indiens et des Tsiganes, en des termes qui, aujourd'hui, relèveraient d'un jugement racialiste. Et il avait ajouté que la criminalité «spécifique des juifs était l'usure, la calomnie et la fausseté, alliées à une absence notoire d'assassinats et de délits passionnels».
C'est cette phrase, citée par Allende dans l'avant-dernier chapitre de sa thèse, qui est exploitée aujourd'hui par Farias pour accuser celui-ci, non seulement d'avoir été nazi dès 1933, mais de n'avoir jamais abandonné ensuite son engagement. Sans rien connaître de l'histoire des multiples évolutions de la biocratie postdarwinienne, il se livre donc à une interprétation rétrospective qui ne repose sur aucune étude critique des textes. Certain d'avoir identifié un véritable nazi, Farias poursuit son investigation en affirmant qu'entre 1938 et 1941, Allende, alors ministre de la Santé du gouvernement Frente popular de Pedro Aguirre Cerda, avait rédigé un projet de loi en faveur de la stérilisation des malades mentaux semblable à celui de l'Allemagne hitlérienne. L'ennui c'est qu'en lisant le texte de ce projet qui ne fut jamais voté on s'aperçoit qu'il ne correspond en rien à une quelconque visée nazie. L'objectif des hitlériens était d'éliminer les malades mentaux et non pas de les empêcher de procréer. La nuance est de taille même si les apparences sont trompeuses.
Toujours soucieux de démontrer l'indémontrable, Farias en vient à affirmer, sans autre preuve que son propre témoignage oral, que sous sa présidence, Allende aurait protégé de l'extradition un authentique nazi, le colonel SS Walter Rauff, condamné par le tribunal de Nuremberg pour avoir exterminé 96 000 personnes. Or, quand on lit la correspondance de 1972 entre Simon Wiesenthal et Allende (3), on s'aperçoit qu'il s'agit, là encore, d'un véritable détournement des textes.
Rappelant que la Cour suprême chilienne avait refusé en 1963 d'extrader Walter Rauff, Wiesenthal s'adressa à Allende, en août 1972, pour lui demander de faire réviser cette décision. Allende intervint alors auprès de la Cour sans obtenir satisfaction. Dans une lettre datée de novembre 1972, Wiesenthal le remercia chaleureusement. (3)
Non content de salir la mémoire d'un homme auquel il voue tant de haine, Farias a fait savoir, dans un entretien daté du 7 juin dernier, qu'il avait demandé aux autorités allemandes de débaptiser tous les lieux qui portent encore le nom d'Allende et d'y apposer celui de la poétesse chilienne Gabriela Mistral (1889-1957), connue pour son engagement chrétien auprès des démunis. Farias s'acharne donc à vouloir destituer l'une des figures les plus populaires, avec celle de Che Guevara, de l'antifascisme latino-américain. Entre les lignes de son essai, on devine la présence d'une conviction délirante, malheureusement répandue aujourd'hui, et qui vise à faire du socialisme une doctrine totalitaire semblable au nazisme l'une étant toujours la face cachée de l'autre et de l'héroïsme révolutionnaire l'expression d'une violence qu'il faudrait bannir de la cité à coups de normalisation des corps et des esprits. Mais ce que Farias et ses partisans oublient, c'est que personne ne pourra jamais ôter à un héros la décision de sa propre mort. Or, Allende est mort comme un héros, au sens grec du terme, préférant une vie brève à la longue durée d'une vieillesse soumise. Le 11 septembre 1973, refusant de se rendre à l'ennemi, il fit sortir ses compagnons d'armes du palais de la Moneda puis, à l'aide de son pistolet mitrailleur, il se tira une rafale dans la bouche. Et c'est bien le spectre de cet héroïsme-là qui continue de hanter les consciences méprisables de ceux qui jamais ne connaîtront un tel destin.
(1) L'ouvrage est paru simultanément, en mai 2005, au Chili et en Espagne sous deux titres différents : 1 Salvador Allende. Antisemitismo y eutanasie. 2 Salvador Allende: contro los judios, los homosexuales y otros "degenerados". Cf. également: Heidegger et le nazisme, Verdier, 1987.
(2) Higiene mental et delincuencia. Cette thèse est accessible sur le site de la Fondation Allende.
(3) Cette correspondance est accessible sur le site de la Fondation Allende. http://www.liberation.fr/page.php?Article=310541
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PARIS LE 14 JUILLET 2005
RÉACTIONS À L’ARTICLE SUR ALLENDE
J. Mendelson
Merci pour ce texte bienvenu, face aux poisons qui circulent au Chili, en Espagne, en Allemagne et sur la Toile. Puis-je signaler à Mme Roudinesco qu'à ma connaissance (je peux me tromper !), il n'y a jamais eu de "projet de loi d'Allende sur la stérilisation des malades mentaux"? Au Chili, un "projet de loi" existe quand il est porté devant le Conseil des Ministres avant d'être présenté au Parlement. Dans ce cas précis, Allende avait chargé une commission indépendante de médecins de rédiger un rapport, lequel qui a été effectivement publié par un des co-auteurs dans une publication médicale, mais n'a jamais été approuvé par le ministre Allende (désaccord sur le fond ? manque de temps ?); il n'a donc même pas le statut d'un avant-projet ; en tout cas, il n'engage en aucune façon le ministre. Une dernière remarque, sur l'antisémitisme et le nazime supposés d'Allende : quelques jours après la Nuit de Cristal, Allende signait un télégramme à Hitler dénonçant "la tragique persécution dont est victime le peuple juif" (télégramme du 26 nov. 1938, qui porte le n°1324 dans les archives du Congrès chilien). Si Mme Roudinesco a des lumières sur ce qui motive la hargne de V. Farias, je serais heureux de les connaître... Bien cordialement, J. Mendelson
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Jean Garcès
L'article de Mme. Roudinesco est très bien construit. Une erreur toutefois: il n'a jamais existé le "projet de loi d'Allende sur la stérilisation des aliénés" dont parle Farias. Le Ministre de la Santé Allende (1939) a rejeté une rédaction qui lui avait été proposée par une commission de médecins indépendants. Ces derniers l'ont publié, sous la signature d'un médecin membre de cette commission, dans une publication médicale. N'ayant pas été approuvé par le Ministre Allende, cette rédaction est morte là. On trouvera plus d'information à ce sujet dans CLARIN-Chili (www.elclarin.cl, section Hemeroteca).
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Sandra Salomon
À l'attention d'Elisabeth Roudinesco, je me permets d'ajouter, toujours sur le fil Faye-Heidegger et le nouveau politiquement correct se pésentant comme étant "de gauche" en accusant les autres d'être des "nouveaux réactionnaires" voire carrément "nazis" que le vénérable journal l'Humanité a entrepris une interview de Faye en lui glissant cette question innocente insidieuse : ne croyez-vous pas que des intellectuels tels que Arendt, Derrida, Levinas, Lacan, Althusser, Ricoeur , Nancy (je ne sais qui encore, mais il aurait pu aussi ajouter Foucault, Sartre, Merleau-Ponty, Agamben , Axelos, Granel etc. etc. etc. la liste est longue et très incomplète ) ont "manqué de vigilance" (sic) en accordant à Heidegger l'intérêt qu'ils lui ont accordé, dans le questionnement de la démocratie qui fut le leur ?
Céder à cela, à cette idée du "manque de vigilance " à l'égard de Heidegger parce qu'"il fut nazi" dit-on comme on dit que certains sont Africains ou Chinois (c'est leur être dans sa permanence substantielle que l'on croit cerner de la sorte) c'est se préparer à céder demain devant ceux qui demanderont condamnation, retrait des ouvrages des rayons des bibliothèques, et changement des noms propres aussi pourquoi pas ? si d'aventure quelques uns d'entre eux traînaient , allez savoir, de ci de là, au programme des études de philosophie, à l'Université, quelques uns des noms parmi ceux cités plus haut, de Derrida à Agamben en passant par quelques bonnes dizaines de ceux qui ont "manqué de vigilance " pour aller chercher inspiration du côté d'un "nazi" très cordialement. Si Farias est emporté par une pulsion mauvaise à salir la mémoire d'Allende, en usant des textes de façon si peu scrupuleuse que cela ne parvient pas à cacher ses interprétations délirantes, il ne faut pas oublier que sa disposition et ses méthodes interprétatives, sa frénésie justiciaire à porter des jugements moraux rétrospectifs pour taxer de "nazi" l'objet de son ressentiment et faire apparaître de manière simplificatrice et magique le nazisme comme l'"autre" absolu dont il serait, lui et ses pairs, nous, aujourd'hui et après-coup, parfaitement indemnes, il ne faut pas oublier que tout cela se dessinait déjà fort bien avec son entreprise contre Heidegger, reposant sur les mémes pulsions, utilisant les mêmes méthodes.
Que le réel de l'histoire de Heidegger qui a été tenté de croire au nazisme (non pas jusqu'en 45 mais au tout début, en 33, et alors qu'il pensait le transformer, le spiritualiser, lui insufler l'esprit qui lui manquait) soit différent du réel de Allende, n'efface pas pour autant la dimension de calomnie délirante qui affleurait déjà dans son ouvrage aux allures de règlements de comptes. Attention de ne pas cautionner cette méthode dans un cas, pour la dévoiler pour ce qu'elle est dans un autre, sous prétexte que Heidegger ne mériterait pas, lui, les mêmes exigences de rigueur que Allende, sous prétexte que l'un s'approcha dangereusement d'un engagement nazi, tandis que l'autre mourut en héros.
Attention car ce même discours rouleau-compresseur du politiquement correct et de la promotion de la morale et de l'humanisme naïf en guise de pensée (politique, philosophique etc...) sévit ailleurs encore, se répète en plus grave, recommence avec recours à la calomnie, manière facile de se faire une gloire sur le dos de Heidegger (comme d'autres ne vont pas tarder à se la faire sur le dos de Lacan parce qu'il ne militait pas pour l'homoseuxualité, ce qui lui vaudra sous peu d'être lui assimilé à un nazi : vous verrez), j'ai nommé l'épouvantable ouvrage d'accusations délirantes de Faye, qui recueille l'admiration de tous les media , de gauche, bien sûr, se donnant la facilité de "casser du nazi" : toujours chez l'autre, assigné d'autant plus nécessairement à l'accusation que cela rassure sur son propre compte, disculpe, convainc et évite de se poser les questions inquiétantes qui précisément sont celles de Heidegger, bien souvent. Attention de ne pas disculper Faye et Farias quand il s'agit de Heidegger, pour
tenter de sauver Allende de leurs pointes empoisonnées. Si l'intention est bonne, de défendre Allende calomnié, l'objectif n'est pas atteint si l'on concède que la même chose qui est exécrable pour l'un est acceptable pour l'autre.
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Michel Slubicki
Chère Madame, réagissant à la lecture de votre article sur Allende, permettez moi de vous indiquez que Justice Oliver Wendell Holmes Jr., considéré aux États-Unis comme un des juges les plus important de l'histoire de la Cour Suprême, (défense de la liberté de parole, des pacifistes pendant le première guerre mondiale, etc.) et qui siégea près de cinquante ans, fut dans les années 20-30 partisan de l'eugénisme actif, de ce qu'il appelait l'élimination des "imbéciles". Il demeure cependant le champion de la tradition "démocratique" (à ne pas confondre avec le parti de ce nom). Je suppose que Holmes, natif de Boston, ami de la famille James (Henry et James), etc, fut influencé par Agaziz d'Havard. Je ne suis pas spécialiste de ces questions mais Holmes est un personnage tellement important dans l'histoire constitutionnelle des Etats-Unis que ses positions sont connues du public cultivé.
Bien à vous, Michel Slubicki francais émigré aux États-unis depuis vingt ans, habitant Brooklyn, ex prof de philo en France.
RÉPONSE D'ÉLISABETH ROUDINESCO
Cher Jean-Michel Helvig, je réponds à tous les correspondants.
1 - à Juan Garcès : je suis heureuse de savoir qu’Allende a rejeté le projet de loi sur la stérilisation des ma lades mentaux. Cela veut dire, une fois de plus, et je m’en réjouis que Farias ne se contente pas d’interprétations délirantes : il invente des faits. Car dans son livre, il publie le projet en l’attribuant à Allende. Il faudra pour être plus clair dans les réponses apporter la preuve définitive qu’Allende l’a rejeté, ce qui voudrait dire, et j’en suis convaincue, qu’il avait évolué et n’était plus attaché en 1940 aux théories de Lombroso, ce qui me paraît logique.
2 - à Jean Mendelson. Merci de l’information.
3 – à Michel Slubicki. Les théories de l’hérédité-dégénérescence ne sont plus acceptables aujourd’hui. Il faut donc les combattre avec la plus grande fermeté, d’où qu’elles viennent, comme il faut combattre toutes les formes de scientisme et de biocratie qui existent aujourd’hui. 4 - à Sandra Salomon : Emmanuel Faye a eu le mérite d’attirer l’attention sur des textes d’Heidegger qui viennent d’être publiés en Allemagne et qui montrent à l’évidence que celui-ci fut non seulement un véritable nazi mais un lâche. Nous le savions déjà mais cette fois-ci seuls les négationnistes pourront nier cette évidence.
En revanche, là où la méthode de Faye est peu sérieuse – bien qu’elle soit différente de celle de Farias dont pourtant il se revendique – c’est qu’il veut démontrer de façon fanatique que Heidegger ne serait pas un philosophe mais un simple idéologue du nazisme et que par conséquent, il faut interdire d’enseigner son oeuvre dans le monde entier. Il y a là une position insensée et forcément réductionniste.
Mais il y a plus grave : Faye fait de Heidegger une sorte de docteur Mabuse du nazisme, ayant eu un projet de nazification masquée de la pensée occidentale après 1945 avec grand complot à l’appui. Armé de cette conviction, Faye dérape complètement en accusant tous les philosophes de la deuxième moitié du siècle - Foucault , Derrida, Althusser, etc – d’être responsables d’une divulgation du nazisme dans le monde entier et notamment, à travers des thèses comme celles de la déconstruction par exemple.
Mais comme il pense que Sartre est un bon cartésien – et donc du côté de l’axe du bien – il en vient à expliquer que la pensée sartrienne serait exempte de toute influence heideggerienne, ce qui est absolument inexact. Si Emmanuel Faye persévère dans cette voie, il finira par ressembler à Victor Farias.
Cela dit, le débat intellectuel est devenu ridicule : car on oppose aujourd’hui les “bons” philosophes (qui refuseraient de lire Heidegger et veulent interdire d’enseignement les 102 volumes de son oeuvre), aux méchants qui seraient tous des nazis. Et du coup, on assimile ces derniers aux véritables négationnistes qui nient en bloc la profondeur de l’engagement nazi de Heidegger. Cela fait la part belle aux négateurs. Je reviendrai sur ce débat.
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