14-18 : quand la mémoire bouche ses trous
Hommage officiel, hier à Paris, où le président de la République et la reine d’Angleterre se sont retrouvés à l’Arc de triomphe. Et d’autres rencontres qui rappellent au souvenir des victimes oubliées, mutins de 17 ou tirailleurs sénégalais.
CONTRASTE. La cérémonie officielle hier à l’Arc de triomphe semblait traditionnelle et guindée, alors que les polémiques autour des déclarations de Lionel Jospin sur les mutins de 17, ont replongé dans le vif de 1998, le 80e anniversaire de la Première Guerre mondiale. Sous un grand soleil automnal, Jacques Chirac et Elisabeth II d’Angleterre ont écouté le marsouin Olivier Dréan sonner, en tenue d’époque, les notes du cessez-le-feu, sur le clairon même qui retentit le 11 novembre 1918. Chacun remit une gerbe sur le tombeau du Soldat inconnu, salua Ä suivis par Lionel Jospin Ä les six poilus présents, avant de s’incliner devant les drapeaux des régiments de la Grande Guerre dissous.
Auparavant la foule nombreuse massée sur les Champs-Elysées avait pu assister à un défilé de véhicules et de matériels de 14-18 : taxis de la Marne, canon de 75 tracté par six chevaux portant ses servants, camions Berliet ou Renault de la Voie sacrée à Verdun, char Schneider de 17 tonnes, véhicules infirmiers... Mais, interrogés, les jeunes des collèges et lycées invités, ont éprouvé plus d’émotion à penser à toute cette génération hachée par la mitraille qu’à la reconstitution historique, réduite aux matériels d’époque.
Si Raymond Abescat, doyen des poilus avec ses cent sept ans, était bien là, Abdoulaye Ndiaye, le dernier tirailleur sénégalais de la Grande Guerre, manquait, décédé la veille dans son village de Thiowor à 200 km au nord de Dakar. L’ambassadeur de France au Sénégal est parti lui remettre la Légion d’honneur à titre posthume... Piètre consolation pour un vétéran de cette "force noire à consommer avant l’hiver", selon les mots du général Mangin, l’un des officiers supérieurs pour lesquels la vie des soldats compta le moins au cours du conflit. Le prix de son sang versé Ä deux blessures en 1914 et 1916 Ä après 30 années sans la moindre compensation, est resté figé à 340,21 F par mois. Le montant des pensions versées aux Africains ayant été gelées au jour de l’indépendance de leur pays. Le sort qui fut celui des 608.209 soldats venus des colonies de 1914 à 1918 surgit peu à peu. Et réclame réparation, juge le MRAP.
La mémoire encore était aux prises avec le présent, hier à Amboise (Indre-et-Loire) où, nous signale notre correspondant, le maire RPR Bernard Debré s’est laissé aller à déclarer, concernant les mutins de 1917 : "Faudra-t-il réhabiliter ceux qui, en 1940, se sont mis du côté de l’ennemi ?" Aux prises, mais au sens propre, les militants de Ras l’front hier à Vitrolles, bousculés et blessés pour deux d’entre eux par des membres du FN et de la police municipale des époux Mégret, alors qu’ils portaient lors de la cérémonie au cimetière de Vitrolles, une pancarte : "Le FN tente de récupérer la boucherie de 14-18 (...) Nous rendons aussi hommage aux mutins de 1917".
D’hommage, il en fut aussi question à Riom, lors du dépôt de gerbe convié par les Verts devant le monument aux mutins de 17 érigé en 1922, à l’initiative de l’ARAC. Dédié "aux victimes innocentes des conseils de guerre", il fait face au monument au morts traditionnel. Trois cents autres personnes se sont retrouvées à Gentioux, un village creusois de 370 habitants, pour une cérémonie célébrant la paix, devant le monument aux morts portant l’inscription "Maudite soit la guerre", érigé en 1923, mais jamais reconnu par les autorités. Au pied du monument, un enfant orphelin en blouse d’écolier et sabots, sa casquette à la main, lève le poing.