Sarkozy est non seulement dangereux en tant qu’ultra libéral, il l’est aussi en fonction de sa vision de la société de l’homme et du rôle de la politique. Sa déclaration sur la pédophilie est particulièrement scandaleuse et inquiétante. Encore une fois il s’appuie sur les pires tendances de la pensée américaine ultralibérale.
Depuis Herbert Spencer, contemporain de Charles Darwin, la théorie de l’évolution, puis la génétique ont été pain béni pour les dirigeants, les penseurs et les thuriféraires de la société libérale.
Si la prospérité capitaliste s’avère incapable d’endiguer la violence et le désespoir, voire, parfois, les exacerbe, nul ne peut en imputer la cause aux désordres et aux excès engendrés par le système. Les gènes en sont responsables !
Depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours, c’est cette antienne à laquelle on s’est référé pour justifier l’application de mesures eugénistes à différentes catégories d’asociaux, pour limiter l’immigration de certaines ethnies aux Etats-Unis, pour expliquer les manifestations de l’agressivité à l’école et de la violence dans les quartiers difficiles, pour disqualifier les programmes sociaux et pédagogiques en direction de certaines minorités visibles américaines définies comme constitutivement inaptes [1]. La médicalisation croissante des écoliers agités et inattentifs en Amérique du Nord, la proposition de mettre en place, dès l’âge de trois ans, un programme de détection des facteurs de risque d’une dérive ultérieure vers la délinquance en France, procèdent des mêmes a priori.
A l’évidence, ce préjugé est aussi à l’origine de la conviction affichée par Nicolas Sarkozy d’une détermination génétique de la pédophilie et des tendances suicidaires (voir son dialogue avec Michel Onfray dans le numéro 8 de Philosophie Magazine). Cette conviction réaffirmée par le candidat de l’UMP à l’Elysée confirme ses liens idéologiques avec la nouvelle droite dont les vieilles idées sont ressassées sans interruption depuis plus d’un siècle, en particulier en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis d’Amérique.
Surfant sur la même cécité idéologique, un auteur américain pouvait ainsi publier en 2005, dans la prestigieuse revue Science, que des modifications survenues au niveau de deux gènes il y a 30.000, puis 5000 ans, avaient sans doute augmenté les capacités intellectuelles d’Homo sapiens. Ces innovations « heureuses » étaient présentes chez 85% des personnes d’origine européenne et asiatique et chez seulement 10% des Africains et Afro-américains noirs. Ces résultats venant à l’appui des pires stéréotypes du racisme scientifique, apparaissaient d’emblée d’une incroyable faiblesse à tout lecteur impartial. Ils furent néanmoins commentés et loués par la grande presse du monde entier, avant que d’être définitivement démentis par de très nombreuses équipes,
La vision d’un gène commandant un comportement complexe tels que ceux conduisant à l’agressivité, à la violence, à la délinquance, à la dépression profonde avec dérive suicidaire, est ridicule et fausse. Une telle affirmation ne revient pas à nier l’influence des propriétés biologiques de notre cerveau sur notre vie psychique. Elle écarte, en revanche, le stéréotype réductionniste d’un déterminisme génétique du destin de chacun.
L’image qui émerge aujourd’hui est celle d’une variabilité de la réponse des êtres à leur environnement, notamment aux événements et agressions psychiques. Deux exemples aujourd’hui acceptés en témoignent. Ainsi, il y a une quinzaine d’années, une équipe hollandaise avait-elle prétendu que l’inactivation du gène MAO-A conduisait les hommes affectés à la délinquance, notamment sexuelle. Des travaux ultérieurs ne devaient pas confirmer ces résultats. Cependant, au début des années 2000, l’influence de l’activité de ce gène put être précisée. Avoir été un enfant maltraité augmente beaucoup le risque de devenir soi-même violent et délinquant. Cependant, cette observation est surtout notée chez les sujets dont le gène MAO-A est peu actif. Les autres semblent plus résistants aux conséquences d’une maltraitance dans leur enfance. Le gène en cause apparaît donc de nature à sensibiliser les enfants aux risques psychogéniques d’une enfance difficile, et n’est pas en lui-même un « déterminant du crime »
Une même observation a été faite en ce qui concerne le gène codant un recapteur de la sérotonine, un neuromédiateur essentiel à l’activité cérébrale. Une forme de ce gène augmente l’activité de recaptage, est sans effet chez des personnes dont la vie a été sereine. En revanche, il semble accroître la fréquence avec laquelle de graves malheurs de la vie entraînent, chez les personnes qui en sont victimes, une dépression pouvant aller jusqu’au suicide.
La vision qui se dégage de ces deux exemples est celle de comportements individuels dépendant de l’histoire et de l’environnement psychique de chacun, et de sa réactivité propre à leur influence. Cette dernière est sans doute influencée par l’héritage génétique.
La responsabilité d’un candidat à de hautes fonctions de dirigeant de notre société est de militer en faveur d’un monde plus sûr, même pour les plus fragiles ; et non pas de s’exonérer par avance de ses échecs en les mettant sur le compte de la perversité des gènes.
[1] La courbe en cloche, (The Bell Curve) Richard Herrnstein, Charles Murray , Free Press, September 1994.