La gestion de Marignane au cœur de la bataille électorale pour la mairie de Vitrolles
Article paru dans l'édition du Monde du 29 Janvier 1997
La politique de M. Simonpiéri, maire FN de la municipalité voisine, sert d'exemple ou de repoussoir
Marignane, la plus « sage », jusqu'à présent, des trois villes détenues par le FN
Lionel Jospin a apporté, lundi 27 janvier, dans un communiqué, son soutien à Jean-Jacques Anglade, candidat PS d'union de la gauche à l'élection municipale partielle de Vitrolles des 2 et 9 février. Le candidat UDF-RPR, Roger Guichard, désormais plus présent dans la campagne, a porté plainte auprès du tribunal d'Aix-en-Provence contre la liste du FN pour « volonté de tromper l'électeur » à propos du statut de Bruno Mégret.
La bibliothèque municipale Jean-d'Ormesson de Marignane (Bouches-du-Rhône) présente, depuis vendredi 17 janvier, ses dernières acquisitions. Sur une table, le Rapport d'enquête sur le budget européen, de Jean-Yves Le Gallou, conseiller régional Front national d'Ile-de-France, Racket sur l'écologie et Voyage autour de la femme, de Jacques Bompard, maire d'extrême droite d'Orange, Une âme pour la France, de Bruno Gollnisch, secrétaire général du FN, côtoient des ouvrages à caractère social, Le Mythe des acquis sociaux, Privatiser la Sécurité sociale, ou des romans de Robert Brasillach.
Dans une lettre ouverte à Jean d'Ormesson, la présidente du groupe Provence-Alpes-Côte d'Azur de l'Association des bibliothécaires français interpelle l'académicien : « La municipalité de Marignane dénie aux bibliothécaires la responsabilité des acquisitions, met en place un comité de censure, et impose ses choix d'ouvrages aux lecteurs. Ne pensez-vous pas que, en agissant ainsi, elle salit votre nom ? » La municipalité d'extrême droite argue, elle, du « respect d'un authentique pluralisme »...
L'affaire de la bibliothèque, et plus généralement la politique municipale marignanaise, alimentent la campagne pour l'élection municipale partielle des 2 et 9 février à Vitrolles. Chaque candidat puise ses arguments dans le travail de la municipalité FN voisine. A l'extrême droite : « Regardez, à Marignane, les impôts locaux et le prix de l'eau ont baissé. » A gauche : « Voyez, à Marignane, le Front national noyaute les associations, asphyxie les Restos du Cœur et censure la culture. » « Que l'exemple marignanais serve à l'équipe de Catherine Mégret, ce serait notre fierté de militants », affirment Daniel Simonpiéri, maire de Marignane, et les élus de sa majorité, en participant à la campagne de Mm Mégret, tête de liste FN à Vitrolles.
M. Simonpiéri joue, depuis son élection, la carte de l'enfant du pays, de l'employé de banque devenu « maire de tous les Marignanais ». « Le problème, c'est qu'il est gentil, observe Jean Montagnac (UDF-PR), chef de file de l'opposition municipale. Il fait la bise à tout le monde, et s'invite aux mariages des Maghrébins. » La bonhomie de M. Simonpiéri, l'indifférence apparente des Marignanais, un champ politique déserté par les partis traditionnels en proie à des déchirements internes, tout cela fait que Marignane apparaît jusqu'à présent comme la plus « sage » des trois villes Front national. Jouant un rôle de test, la manifestation du 14 décembre 1996 contre la venue de Jean-Marie Le Pen a mobilisé tout juste quatre cents personnes.
Les deux cents militants d'Alarme citoyens, l'association née, au lendemain de l'élection de M. Simonpiéri, « du désespoir d'un petit groupe de personnes », analysent ce « lepénisme laïque » comme un frein à une plus large mobilisation des Marignanais. « Pour l'instant, Simonpiéri a mené une politique plutôt front bas, mais si Vitrolles tombe aux mains du FN, il va se déchaîner », redoute une militante. L'association, qui va bientôt ouvrir un local dans le centre-ville, joue la carte juridique.
A chaque décision de la municipalité portant l'empreinte du FN, le tribunal administratif est saisi. La dernière action en cours vise à annuler la note du premier adjoint recensant les publications auxquelles doit être abonnée la bibliothèque municipale. « Première victoire » de l'association, le tribunal administratif de Marseille a ordonné, le 27 novembre 1996, le sursis à exécution d'une délibération du conseil municipal du 24 juin, qui réformait le règlement des cantines scolaires. Alléguant d'indispensables économies, la municipalité avait décidé de réserver l'accès des cantines aux enfants dont les deux parents pouvaient prouver qu'ils travaillaient (Le Monde du 3 décembre 1996). Selon la FCPE, à l'origine de cette procédure, cela entraînait « l'exclusion des enfants de chômeurs, des enfants de pauvres, ceux qui ont le plus besoin d'un repas équilibré et complet par jour ».
Directeur du service des sports jusqu'à sa démission en janvier 1996, Joseph Mahmoud, vice-champion olympique du 3 000 mètres steeple à Los Angeles en 1984, déplore la « casse » du Jogging international de Marignane (JIM), un des clubs d'athlétisme les plus prestigieux de France. Au lendemain de l'élection de la nouvelle majorité, Jean-Christian Tarelli, premier adjoint au maire, déclarait que la dizaine d'athlètes du JIM embauchés comme employés municipaux, mais partiellement détachés pour suivre leur entraînement, ne seraient « plus payés pour courir, mais pour travailler 37 h 30 par semaine ». Abdellah Behar, Halez Taguelmint, Abdel Zouad, autant d'athlètes d'élite, ont déserté les pistes de Marignane pour rejoindre d'autres clubs.
« Je n'ose pas imaginer que la consonance maghrébine de ces grands noms de l'athlétisme français a poussé la municipalité à casser le JIM, déplore M. Mahmoud.
La municipalité FN s'est focalisée sur le sport, qui représente 4 000 licenciés, en pensant qu'il s'agissait d'un vivier d'opposants. » « L'ancien directeur, premier responsable de la gabegie et de la très mauvaise ambiance qui rongeait le club, dut démissionner, non sans avoir tenté de politiser ses malheurs », assure, de son côté, le journal municipal.