Les primaires à gauche, c'est la nouvelle grande idée du PS. C'était la grande annonce et « l'évènement politique » de l'université du PS à La Rochelle. Sachant qu'il n'y a pas eu de débat sur le contenu et la forme des primaires, il n'est pas sûr que les socialistes soient réellement d'accords entre eux sur ce sujet.
Les primaires amènent à un certain nombre d'interrogations et de réflexions. Je vous livre celle publiée dans Marianne.
C'est un sujet sur lequel je reviendrai...
DH
Les primaires, trompe-l'œil de la démocratie ?
Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils étaient modernes. En 1989, quelques quadragénaires, RPR ou UDF, avaient mené une vigoureuse campagne en faveur de la modernisation de la droite. Ils se trouvèrent un sobriquet médiatique – les Rénovateurs. Les journalistes politiques, attirés, presque par essence, par la nouveauté et la brillance, les propulsèrent à la une des journaux.
Rappeler le matricule de ces Rénovateurs n’est pas inutile tant la politique se conjugue parfois au futur antérieur. Il y avait là Gérard Longuet, Philippe Séguin, Michel Noir, Dominique Baudis, François Léotard, Michelle Barzach, François Fillon, Etienne Pinte, François Bayrou, etc. Pour plusieurs d’entre eux, la bataille des rénovateurs a presque été le début de la fin, et notamment Séguin, Barzach, Baudis, Noir et Longuet, qui, après divers avatars, ont vu leur carrière bifurquer et s’écarter de la politique pure et dure.
Or, à la même époque, deux quadras – Alain Juppé et Nicolas Sarkozy – firent le calcul inverse. Tout heureux d'écarter quelques concurrents brillants, ils endossèrent l'habit de lieutenants fidèles et loyaux envers leur mentor Jacques Chirac. Avant de finir, surtout le second, à imposer à la droite la plupart des idées des rénovateurs, assez superficielles d’ailleurs : féminisation, libéralisation des mœurs, unité de la droite, etc.
L'actuel mouvement des rénovateurs socialistes a été bien accueilli par les médias et leur première victoire à La Rochelle saluée avec enthousiasme (1). Connaitra-t-il un destin plus heureux ? Leurs chances sont sans doute encore moins grandes que celles de leurs prédécesseurs de droite. Pas seulement parce qu’ils sont encore plus désunis et concurrents entre eux. Mais aussi parce que, en dépit des apparences, la politique tranche rarement en faveur de la modernité, l’actuel président étant – bien – payé pour avoir fini par l’apprendre : sa victoire est le fruit des suggestions d'Henri Guaino et de Patrick Buisson davantage que celles d'Alain Minc.
Au-delà de ce parallèle, les primaires risquent de se révéler à la fois une illusion pour les rénovateurs solfériniens et pour les électeurs. Déjà réduit à portion congrue au PS, le débat politique se résumera désormais à une star’ac de gauche pour répondre à la lancinante question : qui passera le mieux à la télé contre Sarkozy en 2012 ?
Mais même si l’on se résigne - en soupirant, en bon républicain - à l’idée que la personnalisation est une donnée désormais incontournable de la vie politique, anticipée en France par la Constitution de la V° République et accentuée par le nouveau calendrier électoral imposé par Lionel Jospin, nous connaissons, grâce à l’expérience de 2007 le piège redoutable des primaires. Fortement articulées à l’humeur médiatique du moment, ballotées à tous les vents « sondagiers », les primaires finissent par ne désigner ni le meilleur candidat ni le meilleur président, qualités qui ne s’apprécient que dans la durée : il a fallu seize ans pour faire de François Mitterrand un bon candidat, et encore davantage pour Jacques Chirac.
Que faut-il pour gagner en 2012 et refonder l'opposition ou le PS ? Une vision claire du monde actuel, de la crise de mondialisation et des contrefeux que la France - et l'Europe - peut allumer pour que la période à venir lui soit davantage favorable. Et des propositions claires de rupture avec le neolibéralisme.
Par exemple, l'idée de Paul Jorion d'interdire toute spéculation sur les prix à venir, ou bien la création de taxes favorisant la relocalisation (sur les transports routiers notamment), la séparation entre la banque de détail et la banque d'affaires ou bien l'interdiction des marques de distributeurs, l'imposition des entreprises sur la valeur ajoutée (et non sur les profits), etc.
Or, aucune de ces réformes de rupture (et non d'adaptation) n'est en débat. Plus d'une année après l'éclosion de la crise, il ne s'est rien passé dans le domaine des idées, ni au PS, ni au Modem, ni même à la gauche de la gauche ou au sein de la droite anti-sarkozyste. Les débats ont été confinés dans des think thanks qui pullulent sur le modèle américain, comme si les partis politiques leur avaient délégué leur réflexion programmatique. Une sous-traitance qui applique sans discernement le modèle politique américain à notre pays : aux partis l'organisation des supporteurs, aux think thanks la confection des programmes. On en voit le résultat: un président sympathique et volontaire mais complètement pris au dépourvu par la crise.
En France, personne, dans l'opposition, n'est revenu sur ses illusions et ses erreurs passées. Chacun s'est découvert l'âme et le parcours d'un régulateur forcené, même ceux qui souriaient à longueur d'antenne à la mondialisation heureuse.
Ensuite, il n'y a aucun accord sur le diagnostic : la crise actuelle du capitalisme est-elle une secousse cylique un peu plus forte que les autres, mais somme toute assez classique ? Le résultat des excès de la finance et de la banque ? Ou bien la conséquence d'un affaiblissement de la demande mondiale elle-même issue de l'appauvrissement des classes moyennes et de l'alignement sur le moins-disant salarial à l'échelle mondiale ?
Malheureusement, bien peu de socialistes (ou de « modemistes » ou de « villepinistes ») partagent cette dernière interprétation. Du coup, leurs propositions et leurs idées sont fort peu alternatives à la politique sarkozyste. Martine Aubry exige un plan de relance plus généreux, François Bayrou un emprunt européen (dont ne veulent pas les partenaires de la France), d'autres centristes ou même les strausskahniens rappellent leur fétichisme budgétaire, bref rien qui ne tranche vraiment avec ce que fait le gouvernement, rien qui ne soit susceptible d'entrainer les classes populaires. Et rien finalement, qui nous aide à croire que l'échéance de 2012, finalement la seule élection nationale qui compte réellement, puisse accoucher d'une alternative et non d'une simple alternance. Par laquelle, as usual, on nous demandera de choisir quel mannequin politique nous sera le plus agréable pour conduire la même politique. Voilà tout le paradoxe de ces primaires : présentées comme la garantie du renouvellement de la démocratie, elles en constituent le fourrier.
(1) Y compris par Marianne d'ailleurs; profitons-en pour préciser que cet article n'engage que son auteur.
Mardi 01 Septembre 2009
Philippe Cohen - Marianne
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