Arnaud MONTEBOURG a adressé une lettre aux 2 finalistes de la primaire du PS. Jean-Luc MELENCHON, candidat du Front de Gauche se devait d’y répondre et pour cause !
DH
Réponse de Jean-Luc Mélenchon à Arnaud Montebourg
Cher Arnaud Montebourg,
J’ai lu la lettre que tu as envoyée à tes compétiteurs de la primaire socialiste. Tu as voulu qu’elle soit « ouverte ». Je me sens concerné. En effet, tu t’adresses aux deux socialistes qui pourraient être candidats à l’élection présidentielle. Je le serai pour ma part en toute certitude, au nom du Front de Gauche. Les questions que tu poses concernent toute la gauche et tous nos concitoyens.
J’ai donc souhaité y répondre.
Le nombre de votants aux primaires organisées par le Parti socialiste pour désigner son candidat à l’élection présidentielle montre une volonté d’intervention populaire. Celle-ci marque je crois les temps politiques nouveaux dans lesquels nous sommes entrés. Car désormais le grand nombre sent bien que les dogmes suivis jusqu’à présent par les pouvoirs en place mènent le monde à une impasse. Chacun se sent dès lors invité à se mêler des affaires publiques. Bonne nouvelle !
En t’écrivant, je veux donc contribuer à ce débat démocratique indispensable pour que l’élection présidentielle ne se réduise pas à une compétition de personnes mais permette aux citoyens d’exercer en toute lumière une souveraineté éclairée par le débat argumenté.
Je veux aussi entamer à cette occasion une discussion ouverte à gauche sur les conditions concrètes et précises qui permettront à un gouvernement de mener une politique alternative à celle de la droite, à l’heure où pourtant les gouvernements sociaux-démocrates dans toute l’Europe adoptent des plans d’austérité en tout point contraires à leurs engagements de campagne.
Les trois questions que tu poses me paraissent essentielles. J’y réponds précisément et y ajoute une quatrième qui à mes yeux les conditionne toutes.
1°) Le contrôle politique du système financier
Je défends la mise sous contrôle social des banques afin de soumettre la finance à la loi de l’intérêt général. Le programme du Front de Gauche propose de combattre la spéculation et la financiarisation de notre économie en interdisant les ventes de gré à gré, les ventes à découvert et les produits spéculatifs et en bloquant les échanges de capitaux avec les paradis fiscaux. Nous imposerons également la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement. Nous interdirons les stock-options, les LBO et les engagements hors bilan et obligerons les entreprises à la transparence financière. Les mouvements internationaux de capitaux à des fins de spéculation et de placement financier seront contrôlés et taxés à nos frontières. Nous interdirons la libre action des agences de notation et des hedge funds en Europe. Un pôle public financier sera créé pour contribuer à produire et partager autrement les richesses. Enfin, la Banque Centrale Européenne doit prêter aux Etats pour casser la spéculation et mettre le financement des biens publics à l’abri des appétits des investisseurs privés.
2°) Le protectionnisme européen, social et écologique
Je combats le dogme du libre-échange pour des raisons à la fois écologiques et sociales. Je veux réduire les transports de marchandises inutiles pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Et je récuse la réduction des normes sociales et environnementales par la mise en concurrence des systèmes sociaux et fiscaux nationaux. Je prône une relocalisation écologique maximale de notre production agricole et industrielle. Pour cela, le Front de Gauche défend l’instauration d’un visa social et écologique qui permettra de bloquer les productions délocalisées pour des raisons de dumping social et fiscal. Il propose l’institution de protections et de normes sociales et environnementales communes aux Européens, avec, par exemple des prélèvements nationaux concertés sur les réimportations en Europe de productions délocalisées et une taxe «kilométrique» de manière à réduire les transports de marchandises évitables. Nous instaurerons un droit de reprise des entreprises par leurs salariés en cas de délocalisation ou de fermeture. J’ajoute que le contrôle des mouvements de capitaux que nous instaurerons permettra aussi de taxer lourdement les investissements supports des délocalisations.
3°) la VIe République et la lutte contre la corruption
Le Front de Gauche se prononce sans ambiguïté pour une Sixième République parlementaire. Nous voulons en finir avec ce régime qui dépolitise le débat public et organise le dessaisissement des citoyens. La méthode que le Front de Gauche avance pour rédiger cette nouvelle Constitution est celle qu’ont suivie avec succès les peuples qui ont fait avant nous le choix de la révolution citoyenne, la convocation d’une Assemblée Constituante dès le début du mandat. Mon ambition est donc d’être le dernier président de la Cinquième République.
Quant à la corruption, je la tiens pour un symptôme de la décomposition de notre République. Elle prospère en raison du fonctionnement oligarchique des institutions, qui mêlent étroitement possédants et cercles dirigeants de l’Etat. Elle est la conséquence de l’accumulation de richesse par quelques-uns. Ceux-là jouissent de ce fait d’un pouvoir d’influence indécent contraire à l’égalité des citoyens. Elle se nourrit de la colonisation de l’Etat par les intérêts particuliers, permise par la libéralisation des services publics et la confusion qu’elle entraîne entre public et privé. Elle est encouragée par le fonctionnement des institutions européennes, où les lobbies font la loi. Nous combattrons la corruption sur tous ces fronts : mise au pas de l’oligarchie par la création d’un revenu maximum, instauration d’un régime parlementaire permettant le contrôle effectif de l’exécutif, abrogation des libéralisations de services publics, pôle public du médicament, nouveau traité européen conditionnant tout transfert de souveraineté à un contrôle démocratique de son usage.
Voici donc mes réponses aux trois points que tu évoques. Je serais incomplet si je n’en ajoutais pas un quatrième. Je crois que tu en seras d’accord puisque, comme nous, tu as voté non au traité constitutionnel européen et à sa copie conforme le traité de Lisbonne. Rien ne pourra être fait de ce que j’ai dit précédemment sans remise en cause du traité européen de Lisbonne. Celui-ci interdit en effet toute entrave à la libre circulation des capitaux, promeut le libre-échange généralisé, fait échapper une part croissante de notre législation à la souveraineté populaire et officialise le pouvoir corrupteur des lobbies. C’est pourquoi nous organiserons un referendum pour proposer au peuple français une liste de dispositions sur lesquelles la France désobéira sans attendre aux traités européens, prélude à une refondation de l’Union toute entière.
Reçois, cher Arnaud, mes félicitations pour le combat que tu as mené au sein de ces primaires et qui a permis de faire progresser tant d’idées que nous avons en commun.
Jean-Luc Mélenchon
Candidat du Front de Gauche à l'élection présidentielle
Paris, le 11 octobre 2011
A l'attention de Madame Martine Aubry et de Monsieur François Hollande
Chère Martine, cher François,
Je voudrais en premier lieu féliciter chacun d'entre vous pour sa qualification au second tour des Primaires citoyennes. Dans cette campagne loyale et cordiale, j'ai défendu des solutions nouvelles destinées à répondre par des propositions concrètes, réalisables et efficaces à l'extrême gravité de la crise financière, économique, sociale et morale qui a commencé à ravager tous les pays européens, dont la France. Je me suis attaché à dégager des perspectives d'actions nouvelles auprès de ceux qui se sentent à juste titre écrasés par l'économie et oubliés par la politique.
Cette lettre a pour objectif d'éclairer avant dimanche l'opinion finale des 450.000 Françaises et Français qui m'ont fait l'honneur de leur confiance. Ces femmes et ces hommes sont libres et feront leur choix en conscience. Mais je tiens à ce qu'ils fassent ce choix important, en toute connaissance de cause. C'est cela, la VIème République en actes.
1 - La première des questions que je souhaite vous poser concerne les conditions précises et concrètes dans lesquelles vous entendrez reprendre le contrôle politique du système financier qui soumet aujourd'hui l'économie réelle et les entreprises à ses exigences indues, tout comme il le fait des gouvernements et des contribuables.
J'ai rappelé à maintes reprises que les Français refuseraient à bon droit -particulièrement ceux qui n'ont que leur travail pour vivre- de payer les conséquences des graves fautes commises par le système financier, dans lesquelles ils n'ont aucune espèce de responsabilité. Mettre à contribution par l'impôt les classes moyennes et populaires pour secourir les banques, leurs filiales, comme tel est d'ores et déjà le cas dans les projets de renflouement de la banque privée Dexia, serait une faute morale et politique, contre laquelle la gauche aura l'obligation de nous prémunir.
Ceci implique des mesures de mise sous tutelle publique des banques, sans frais pour les contribuables, conduisant à faire entrer des représentants de l'Etat ainsi que des usagers du crédit, avec droit de veto, dans les conseils d'administration des banques.
En plus des mesures de séparation des activités de collecte des dépôts et celles d'affaires, il paraît logique et juste d'utiliser les bénéfices des banques profitables pour renflouer les banques en difficulté par des mesures de solidarité interbancaire, mesures qui éviteront aux Français de payer les futurs plans de renflouement des banques fragilisées.
De surcroît, il sera nécessaire d'interdire par la loi la spéculation dans l'activité bancaire avec l'épargne des Français et d'édicter une procédure pénale sévère réprimant l'évasion fiscale afin d'obtenir le rapatriement des avoirs actuellement placés dans les paradis fiscaux tout en faisant fermer les filiales des banques dans ces territoires.
Je veux rappeler avec force que la dette publique accumulée au cours des derniers mois est le prix direct et indirect du secours accordé par les Etats de l'Union Européenne au système financier, embarqué dans une course à la spéculation.
Un Président de la République issu de nos rangs devra s'engager solennellement devant les Français à mettre à contribution le système financier et bancaire européen et national par une taxation européenne et nationale sur les transactions financières afin de solder le poids de la dette publique contractée pendant la crise, évaluée à la somme de 450 milliards d'euros.
Ces mesures, dont beaucoup de Français approuvent la nécessité comme la sévérité, sont un préalable à tout redressement de notre économie et, a fortiori, à toute application du projet socialiste.
C'est à ce prix que nous pourrons reconquérir les marges de manœuvre dont nous avons tant besoin pour reconstruire la France. Ces choix devront s'articuler avec une réforme nécessaire des statuts de la Banque Centrale Européenne, afin de lui permettre de racheter la dette des Etats, ce qui lui est encore interdit à ce jour.
2 - C'est ce même objectif que poursuit le protectionnisme européen, social et écologique, que j'ai, avec les soutiens de nombreux économistes et philosophes de renom, défendu dans cette campagne.
Ce protectionnisme européen n'est rien d'autre que la demande de remise en ordre d'une économie internationale affranchie de toute règle : règle sociale, règle environnementale, règle sanitaire, règle économique et, il faut le rappeler, règle humanitaire. Le « juste échange », contenu dans le projet socialiste, ne saurait suffire car il consiste à faire croire en une régulation multilatérale négociée, que l'OMC n'a jamais été capable d'imaginer ni d'appliquer en 20 ans. Il reviendrait à demander l'autorisation à nos concurrents mondiaux dans la guerre économique de pratiquer le protectionnisme, ce que nous n'obtiendrions jamais. Ce serait là pécher par naïveté, car ces négociations auraient dû commencer il y a 20 ans, et n'ont jamais eu lieu. Aujourd'hui, l'urgence exige que nous prenions des mesures au plan européen et national.
Dans l'arsenal protectionniste à créer, il serait utile que les prises de contrôle de nos entreprises à forte valeur technologique par des capitaux extra-européens soient soumises à autorisation publique, que des mesures de sanction économique ciblées soient codifiées contre les entreprises transnationales ayant délocalisé leurs productions au détriment de nos territoires et de nos populations, et que les marques appartenant à ces entreprises puissent faire l'objet de mesures d'expropriation publique en cas de comportements déloyaux aggravés. Goodyear, Lejaby, et l'Eléphant, autant d'exemples du comportement inacceptable de certaines firmes multinationales ; autant de symboles de cette désindustrialisation de la France que la gauche doit désormais combattre résolument.
Je souhaiterais donc connaître quelles mesures précises et concrètes vous envisagez de prendre pour protéger notre industrie, nos savoir-faire, nos emplois, à l'abri desquelles nous pourrons réindustrialiser le pays et financer la révolution industrielle, technologique et écologique.
Vous le savez, pour appliquer ces mesures, pour retrouver aussi la confiance des Français, la politique doit redevenir plus forte que l'économie et que la finance.
3 - Des dizaines de milliers de Français que j'ai rencontrés, comme vous, ont perdu espoir dans l'action publique. Pour leur éviter les errements du vote extrémiste, les amener dans notre rassemblement populaire issu des primaires, il nous faut, ensemble, rendre à la politique force et respectabilité. C'est ce que je défends depuis 12 ans avec le projet de VIème République.
L'un comme l'autre, vous avez, dans le passé, soit renoncé, soit refusé d'engager notre parti que vous dirigiez dans ce projet de renaissance de la démocratie française que j'ai appelé la VIème République, projet dont l'essentiel consisterait dans :
- l'augmentation des pouvoirs de contrôle du Parlement par des commissions d'enquête parlementaires libres et par le contrôle parlementaire des nominations aux postes clés dans l'administration ;
- la fin de l'impunité présidentielle s'agissant des actes sans rapport avec sa fonction ;
- la protection de l'indépendance de la justice par la naissance d'un Procureur général indépendant chargé des poursuites dans les cas sensibles ;
- le renforcement des moyens de lutte contre la corruption en limitant notamment la portée du secret défense ;
- la transformation du Conseil constitutionnel en une véritable Cour constitutionnelle indépendante ;
- l'instauration du mandat parlementaire unique ;
- le référendum d'initiative populaire, y compris abrogatif et révocatoire des élus afin d'organiser la responsabilité politique de ceux-ci ;
- le vote aux élections locales des personnes de nationalité étrangère présentes de façon régulière sur notre territoire depuis 5 ans ;
- la libération des données publiques dans les collectivités locales et dans l'Etat (Open Data).
Ce programme que je vous soumets est ambitieux mais parfaitement réaliste et réalisable. Il ne coûterait pas un euro aux Français ; mieux, il générerait des ressources financières nouvelles et permettrait un essor industriel et productif.
Sans lui, j'en suis convaincu, aucune victoire de la gauche face à Nicolas Sarkozy, au printemps prochain, n'est envisageable. Pire, c'est Nicolas Sarkozy, lui-même qui, si nous n'avons pas le courage de l'assumer, le proposerait alors aux Français, dans une ultime contorsion politique.
Les propositions que je formule sont majoritaires chez nos concitoyens. Elles correspondent à une remise en ordre de notre pays et à un retour à la sagesse dont nous nous sommes beaucoup trop éloignés depuis 25 ans.
C'est donc confiant dans votre intelligence politique et dans votre volonté de l'emporter demain face à la droite que je vous ai écrit. Beaucoup de Français, avec moi, attendent votre réponse.
Chère Martine, Cher François, soyez assurés de ma meilleure estime et de toute mon amitié socialiste.
Arnaud MONTEBOURG