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Le blog politique de Didier HACQUART, Maire adjoint PS à Vitrolles (2002 - 2008). Après 5 années de gestion MEGRET Vitrolles est retourné dans le giron Républicain après l'élection partielle d'octobre 2002 ! Fin 2008 je quitte le PS pour le Parti de Gauche.

"Face à la crise" par Michel Rocard



Il y a « Michel Rocard » et « Michel Rocard ». Je suis loin de partager toutes ses idées, mais il faut reconnaître que c'est un vrai intellectuel qui réfléchit, et qui a de bonnes analyses. Il a aussi un bon coté didactique, qui ne me déplait pas.


Si je ne partage absolument pas la conclusion de l'article qui suit paru dans le Nouvel Obs, l'analyse qu'il fait de la crise, y compris son mea-culpa me parait intéressante. Je ne partage pas sa conclusion sur le PS, puisque, justement, ce que je reproche aux dirigeants du PS, c'est d'avoir cédé aux sirènes de l'air ambiant sur le capitalisme. C'est ce qui a conduit à la crise financière actuelle. Crise financière qui commence à se transformer en crise économique avec un véritable impact sur le monde réel, avec son lot de fermeture d'entreprises, de chômage, etc.


Je ne partage pas son appréciation sur les « sociaux libéraux » réformistes qui sous la pression de la finance ont été les responsables de régressions sociales.


DH

 


Face à la crise par Michel Rocard (*)

 


Le Nouvel Observateur. - Qu'est-ce que la gauche peut dire et proposer face à cette crise ?


Michel Rocard. - Cette crise, c'est l'occasion où ne jamais de remettre de l'ordre dans la confusion intellectuelle de la gauche française. La gauche pendant cinquante ans a oublié ses principes et n'a gardé de son exigence éthique que le combat salarial.


Surgit la crise qui fait la preuve que le capitalisme détruit les acquis économiques, ceux-là mêmes qu'un capitalisme régulé avait assurés pendant les Trente Glorieuses. La gauche française, elle, est encore empêtrée dans ses archaïsmes. On identifie traditionnellement la gauche en France selon trois critères.


Le premier, c'est sa proximité avec le Parti communiste français. Or il est devenu caduc. Il n'y a plus, et c'est tant mieux, de projet stalinien. On a vécu pendant cinquante ans en se définissant par rapport au PCF Trop longtemps, la gauche ne s'est définie politiquement que par rapport aux autres sans vraiment dire ce qu'elle est, ce qui est quand même une souffrance.


Le deuxième critère, c'est la dimension d'étatisme. L'Etat était la garantie de la gauche contre les vices du capitalisme.


Troisième élément, le plus tordu, que j'appelle « le syndrome de la demande ». Je l'ai compris en 1980 lorsqu'on élaborait le programme d'Union de la gauche et qu'on discutait notamment du smic. Pour être considéré de gauche, il fallait à l'époque exiger une augmentation d'au moins 15% du salaire minimum. Ce que n'importe quelle crise d'inflation annule automatiquement. Ceux qui comme moi préconisaient une raisonnable augmentation de 6% afin d'augmenter le pouvoir d'achat, sans qu'il soit aussitôt dévoré par la hausse des prix, étaient taxés de droitiers.


Rappelons que, sous la Révolution, la gauche définit simplement les hommes qui veulent faire bouger les choses et qui s'installent, dans l'Hémicycle, à la gauche du président de l'Assemblée, alors que les conservateurs s'installent à droite. La gauche, c'est donc le mouvement par rapport à l'ordre, le refus d'admettre un ordre socialement injuste et donc d'accepter de payer un prix de désordre temporaire pour changer l'ordre.


Depuis toujours la gauche demande une modification du pouvoir de commandement sur l'économie et au sein de l'entreprise. La souffrance ouvrière exigeait une bataille sociale (salaires, conditions de travail, sécurité, retraite), mais le socialisme était avant tout un combat pour la dignité de l'homme. La dignité, c'est un droit reconnu à chacun de peser sur son existence, sur son destin.


C'est d'ailleurs ce qui a conduit le jeune Marx à travailler d'abord sur l'aliénation avant de se consacrer à l'analyse du capital. Le socialisme est né au XIXe siècle d'une colère contre la cruauté du capitalisme. Marx a fait l'analyse que la dureté de la condition salariale et des inégalités venait de la cupidité des patrons, de leur appétit de pouvoir et de leur appropriation des moyens de production et d'échange. Mais, on l'a oublié, Marx ne remettait jamais en cause l'économie de marché ! Son œuvre majeure et posthume, « Fondements de la critique de l'économie politique » - qui ne sera traduite en français qu'en 1968 -, affirme que le drame central du capitalisme, c'est sa tendance permanente aux déséquilibres et aux crises. Et son incapacité à dominer ses pulsions à s'étendre partout et à commander l'économie mondiale. Il insiste aussi sur la tendance de la finance à prendre le pas sur l'économie réelle. Marx annonce une crise plus grave que les autres en raison d'un déséquilibre de l'économie réelle provoquée par la toute-puissance mondiale d'une finance elle-même complètement chaotique. Eh bien, nous y sommes ! La gauche avec Marx a disposé de l'instrument intellectuel de prévision économique le plus fabuleux qui soit et n'a pas su s'en servir !


N. 0. - Pourquoi l'économie de marché est-elle un acquis fondamental ?


M. Rocard. - C'est parce qu'elle est garante de la liberté du travailleur - consommateur - citoyen de base et parce que le capitalisme a réussi à associer à l'idée de développement et de croissance la totalité de la population. Et parce que l'Histoire a montré que la réponse collectiviste au capitalisme a été inefficace et vaincue partout. Marx a d'ailleurs fait l'éloge de l'efficacité révolutionnaire du capitalisme.


Un rappel : un citoyen français sous la Révolution vivait à peu près comme un sujet de Louis XIV et pas beaucoup mieux qu'un citoyen romain ! Aujourd'hui, nous vivons 120 fois mieux que nos arrière-arrière-grands-parents. On travaillait 4 000 heures par an en 1820 ou 1830, à la naissance du capitalisme, soit 17 heures par jour, samedi compris, sans congés payés ni retraites. Nous en sommes dans la France actuelle à 1 600 heures.


C'est un progrès constant dû aux conquêtes sociales à l'intérieur du système. Reste cependant le problème de l'instabilité dé ce même système qui provoque des crises à répétition. La crise de 1929, qui a entraîné la Seconde Guerre mondiale, a été la plus grave. Après la guerre, il y eut un consensus pour rationaliser les excès du capitalisme. On s'est appuyé en fait sur trois « correcteurs d'équilibre ».


Le premier basé sur les rapports de l'économiste britannique William Beveridge qui a théorisé l'humanisation du capitalisme, particulièrement en 1944 dans son ouvrage « le Plein Emploi dans une société libre », par la protection sociale en y voyant un puissant facteur de stabilisation. Il voulait mettre l'efficacité du capitalisme au service de la lutte contre sa cruauté.


Le deuxième est bien sûr John Maynard Keynes, l'autre économiste britannique qui a théorisé l'usage des pouvoirs budgétaire et monétaire des Etats pour stabiliser les secousses du système.


Troisième régulateur, historiquement le premier, et le vrai vainqueur de Marx, c'est Henry Ford. Sa doctrine énoncée après la Première Guerre mondiale tient en une phrase : «Je paie mes salariés pour qu'ils achètent mes voitures. » Donc, après la dernière guerre mondiale, tous s'accordent à défendre une politique de hauts salaires pour faire progresser la demande. Le résultat, ce sont les Trente Glorieuses. Trente ans d'un capitalisme à croissance régulière sans crises majeures. Trente ans de redistribution avec 5% de croissance par an et le plein-emploi. Pendant lesquelles la gauche proteste contre les guerres coloniales ou les atteintes aux droits de l'homme, faute de pouvoir contester le système économique. Il ne lui restait plus qu'un combat : critiquer la société de consommation !


N. 0. - Alors, comment en est-on arrivé à la crise actuelle ?


M. Rocard. - Les actionnaires ont pris le pouvoir et, appuyés sur les idées de Milton Friedman (*) - le marché a réponse à tout -, ont pris le commandement du monde. A la fin des Trente Glorieuses, l'ouverture des échanges et surtout celle, incontrôlée, des mouvements de capitaux ont permis l'émergence de firmes multinationales et la prise de pouvoir peu à peu de l'actionnariat. Fonds de pension, fonds d'investissement, fonds d'arbitrage (ou hedgefunds) ne se sont préoccupés que d'amasser des profits à court terme sans se préoccuper de la production, de la recherche et du long terme. Leur pression permanente a conduit les entreprises à externaliser une grande part de leur production et à développer une sous-traitance généralisée avec moins de protection sociale. Voilà comment nos grands constructeurs automobiles qui, dans les années 1960, fabriquaient 80 de la valeur de ce qu'ils vendaient ne sont devenus que des assembleurs, ne fabriquant plus que 20 de la valeur de leurs produits. Avec pour conséquence l'explosion du travail précaire, du chômage et de l'exclusion, qui touchent le quart de la population !


N. 0. - Que peut proposer le PS lors de son prochain congrès ?


M. Rocard. -Je bénis le temps où la droite mondiale est enfin capable d'accepter l'idée que les sociaux-démocrates ont eu raison depuis plus de cinquante ans en demandant une régulation européenne et mondiale de l'économie de marché !


Une droite mondiale qui a été complice de ce crime contre la pensée, en martelant ce dogme : l'économie peut fonctionner sans règles. Face à la crise, le PS doit lors de son congrès de Reims affirmer fortement sa ligne sociale-démocrate. Le dernier rapport du président du Parti socialiste européen, le Danois Poul Rasmussen, porte sur le rôle des hedgefunds dans l'aggravation de l'instabilité financière mondiale. Il existe donc des réflexions et des analyses susceptibles de proposer à l'Europe un pilotage social-démocrate. Le PS a toujours été malade de ses motions de synthèse. Il a besoin de clarté, fût-elle douloureuse. J'attends du 75e congrès qu'il dise sans détour que l'Europe est le cadre nécessaire de toute politique de progrès et que la nouvelle régulation du capitalisme se fera en préservant l'économie de marché. En sera-t-il capable ?


Propos recueillis par FRANÇOIS ARMANET et GILLES ANQUETIL

13-19 NOVEMBRE 2008



(*) Milton Friedman et l'école de Chicago, lire ou relire « la stratégie du choc » de Naomi Klein




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