Des coups de feu très récupérés
Article paru dans l'édition du 8 novembre 1997.
LE 17 août, Hervé Jauffret, chauffeur routier en contrat de qualification de vingt-cinq ans, avait fait feu sur des jeunes qui faisaient du bruit au bas de son immeuble du quartier de la Frescoule à Vitrolles. L’homme avait tiré par deux fois avec un fusil de chasse, blessant cinq jeunes gens.
Ce qui rend cette affaire, jugée hier par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, particulière, c’est qu’Hubert Fayard, premier adjoint Front national de Vitrolles, avait apporté publiquement son soutien au tireur, jetant ainsi son lot d’huile sur le feu. « Se sentant menacé et ayant été insulté », Hervé Jauffret avait tiré en direction du groupe une fois vers le sol et en l’air. C’est par ricochet que les plombs avaient atteint les victimes. « J’ai voulu leur faire peur, pas les blesser. Ils étaient nombreux et menaçants », explique à la barre le jeune camionneur sans doute dépassé par l’ampleur prise par son affaire. Car, volontaire ou non, la récupération se tapit derrière ce procès, où certains témoins ou avocats reprennent à leur compte les thèses du FN de Vitrolles, notamment sur l’incapacité de la police nationale qui oblige à l’autodéfense.
Pour certains, on ne parle pas de jeunes gens mais de Maghrébins et une pétition de soutien à Hervé Jauffret a circulé dans le quartier. La mairie de Vitrolles entend en effet montrer du doigt une partie de sa population et justifier la mise en place de sa propre police, qualifiée de milice par de nombreux opposants. « Quand des jeunes gens font du bruit et que l’on prend un fusil, je dis non », s’emporte alors Me Kujundjan-Anglade, avocate de l’un des blessés. « Le tireur est de la même génération que ses victimes », reprend Me Romain, avocate des autres blessés qui se sont constitués parties civiles. « Cet incident marque le manque de dialogue et de compréhension dans ce quartier qui est plus tranquille qu’on veut bien le dire. »
Le substitut du procureur de la République d’Aix-en-Provence a requis contre le jeune homme une peine de cinq mois avec sursis et mise à l’épreuve. « La dignité d’un homme existe », défendait Me Greco, avocat du prévenu. « Jauffret est un mari qui a voulu protéger sa concubine contre des jeunes gens âgés de douze à vingt-cinq ans avec souvent des casiers judiciaires ouverts, qui l’insultaient. » Le jugement était attendu dans la nuit.