Le blog politique de Didier HACQUART, Maire adjoint PS à Vitrolles (2002 - 2008). Après 5 années de gestion MEGRET Vitrolles est retourné dans le giron Républicain après l'élection partielle d'octobre 2002 ! Fin 2008 je quitte le PS pour le Parti de Gauche.
Extrême droite : le lampadaire et l'exclusion
Article paru dans l'édition du Monde du 24.03.01
A VICTOIRE de Catherine Mégret à Vitrolles est symptomatique d'un fait nouveau tout à fait décisif : l'enracinement d'un courant politique d'extrême droite fondé sur la gestion. Il est d'ailleurs significatif que la rhétorique habituelle du président du FN, Jean-Marie Le Pen, ait rencontré peu d'écho durant ces élections municipales, qui ne l'intéressaient pas.
Et Bruno Mégret a raison de souligner que son mouvement, le MNR, a franchi un pas ce dimanche 18 mars. Les scores marseillais du MNR, approchant les 20 points dans les quartiers populaires qui lui sont le plus favorables, comme les résultats enregistrés dans d'autres villes des Bouches-du-Rhône, confirment son diagnostic d' « enracinement du mouvement national ».
Mais il a surtout réussi à lui donner une crédibilité nouvelle puisque la prime au sortant joue désormais pour ses amis. Daniel Simonpiéri, déjà élu conseiller général pendant son mandat de maire, a remporté haut la main le second tour de l'élection de Marignane. Et, la semaine précédente, Jacques Bompard, Front national officiel mais maire d'Orange sans étiquette et qui a géré sa ville selon les mêmes méthodes et selon la même philosophie que les deux autres, était élu dès le premier tour. On n'a donc plus affaire, dans ces cas-là, à des batailles gagnées ou perdues par le hasard malencontreux de triangulaires imprévues : l'électorat choisit en connaissance de cause son candidat, il en connaît le programme, le bilan, le style. De surcroît, dans les trois villes d'extrême droite, les batailles juridiques ou politiques ont largement mobilisé les médias locaux et nationaux, écrits ou audiovisuels, contribuant ainsi à informer les citoyens sur la gestion quotidienne de leur ville.
On touche là au premier élément constitutif de cet électorat d'extrême droite : il se construit sur le « victimisme », ce sentiment, largement répandu dans la région, d'être victime des puissants, des Parisiens, des étrangers - et bien sûr des journalistes et des juges. Ce sentiment a souvent une traduction électorale pratique : ce que Philippe Séguin appelle la « prime à la casserole », forme pervertie de l'idée qu'en démocratie la légitimité vient du peuple, et bâtie sur celle que toute médiation entre lui et sa volonté exprimée par la loi est perverse.
Les élus du FN et du MNR ont un art consommé pour jouer sur ce particularisme étroit. Catherine Mégret a diffusé un tract intitulé : « Le programme bien de chez nous », et cela fait écho au petit Astérix des panneaux installés aux différentes entrées de la ville d'Orange. Et les trois maires ne manquent jamais l'occasion de dénoncer la « diabolisation » dont ils sont les victimes : ils agglomèrent autour de ce mot tous les ressentiments vécus par ceux qu'ils représentent, qui trouvent ainsi une expression politique de leur souffrance sociale.
Mais le victimisme, répandu bien au-delà de l'extrême droite, se colore dans cet électorat d'un désir de discrimination raciste antiarabe désormais affiché. On s'en doutait un peu depuis que Mme Mégret a été condamnée dans deux procès pour discrimination, dont un en appel pourrait lui coûter son éligibilité.
Loin d'en être gênés, elle et ses amis ont utilisé la chose en se présentant au dernier procès corde au cou, adoptant une attitude de rupture face à l'institution judiciaire, cherchant et obtenant l'expulsion de la salle d'audience. On en a eu une confirmation récente avec le tract cité plus haut, et condamné par la justice. Il proposait rien de moins que de faire quitter la ville à ceux des immigrés « qui sont source d'insécurité et de trouble ». Et surtout de « reloger les Français du quartier des Pins qui le souhaitent dans un autre secteur de la ville. (...) L'équipe Mégret [leur] proposera donc de nouveaux logements dans la ville, avec des loyers équivalents et construits spécialement pour eux ».
On peut difficilement être plus clair dans la volonté affirmée de développement séparé : ces tracts ont été largement diffusés et les habitants des Vignettes, qui ont donné 60 % des voix à l'équipe en place, en connaissaient le contenu. Comme les Orangeois savent très bien qu'on donne du porc aux repas de Noël de fin d'année offert aux aînés, que la mairie a cessé de participer au contrat de ville, de cotiser à la mission locale pour l'emploi et que les habitants des quartiers de Fourchesvielles ont le sentiment d'être complètement exclus de la vie de la cité. Les Marignanais n'ignorent pas plus qu'on a interrompu toute aide au seul centre social de la ville situé dans un ensemble d'immeubles à forte population d'origine immigrée ou que leur maire va encore devoir s'expliquer sur l'interminable feuilleton du porc donné à la cantine.
PROJET COHÉRENT
Ces deux éléments, victimisme et racisme antiarabe, sont parties constitutives d'un projet cohérent, ils forment une ligne, ils structurent un budget. Tout cela est parfaitement compris par ces électeurs-là, qui pensent simplement que les aides directes ou indirectes aux plus démunis qu'eux les menacent directement.
Parlant du transfert de mémoire de l'Algérie française au racisme antiarabe, l'historien Benjamin Stora évoque le « sudisme » né en Algérie, à l'image de celui des petits Blancs du sud des Etats-Unis, et désormais installé en France. Pour lui, cette « mémoire d'exclusion va progressivement se muer en une mémoire de revanche inavouée ». En tenant compte du fait que l'électorat MNR ou FN n'est pas seulement pied-noir - même si les militants d'extrême droite le sont souvent -, la phrase convient à ce qu'on entend quand on essaie de comprendre ce qui se passe dans ces villes : le rapport aux immigrés et aux enfants de l'immigration semble encore tout empreint d'une supériorité coloniale de petit Blanc inquiet. De façon imagée, un militant vitrollais disait : « Ces électeurs-là, on les a achetés pour un lampadaire. » L'explication est un peu courte, car un lampadaire ne suffit jamais s'il n'est pas inscrit dans une politique plus générale. Mais elle est forte si on la relie au tract condamné : rien pour les Pins, tout pour les quartiers qui réclament un lampadaire.