On a parfois que la sécurité sociale a toujours existé, toute comme les retraites. Ce n'est évidemment pas le cas, et d'ailleurs, ce n'est pas si ancien que cela. A l'heure où tout le système de la protection sociale est remis en cause, il est bon de se rappeler...
DH
En mémoire du Conseil National de la Résistance
Marianne.fr
Article 11 - | Samedi 15 Mai 2010
A l'heure où on s'apprête à faire voler en éclats le socle des fondamentaux acquis à la libération, le site internet Article 11 rend hommage à l'œuvre du Conseil National de la Résistance.
L’an passé, ils étaient 4 000, réunis sur le plateau des Glières pour dire - sans bannière politique ni drapeau - leur rejet des valeurs sarkozystes. Manifester leur opposition aux présidentielles tentatives de récupération sur l’héritage de la résistance. Et souligner leur volonté de ne pas rester passif face aux coups de butoir incessants que la majorité au pouvoir et les milieux d’affaire assènent au modèle social français.
Cette année, ils remettent ça, rassemblement organisé le dimanche 16 mai par l’association Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui [1]. Une "manifestation" qui s’inscrit dans un cadre plus vaste, patient et minutieux travail de fond mené par les membres de l’association pour préserver et rappeler l’héritage du Conseil national de la résistance. Ainsi de Walter, retour en résistance, film réalisé par Gilles Perret autour de la figure de l’ancien résistant Walter Bassan [2]. Ou du livre publié récemment par l’association à La Découverte, ouvrage collectif conduit par un journaliste du Canard Enchaîné, Jean-Luc Porquet.
L’ouvrage est bref, efficace et percutant. En moins de 200 pages, il revient sur l’application dans l’immédiat après-guerre des Jours Heureux, texte programmatique rédigé en 1944 par le Conseil national de la Résistance (CNR) et qui a très largement irrigué le modèle social français. Et détaille précisément les coups qui lui sont ensuite portés de tous côtés : politiciens de droite et de gauche, financiers, assureurs, banquiers, grands patrons, tous soucieux de prendre leur revanche. De ravager, - « avec une furie qui n’exclut pas une certaine méthode », pour reprendre les mots d’Alexandre Dumas - le système de Sécurité sociale et celui des retraites, de rogner les services publics, de mettre à bas toute idée de secteur bancaire public, de multiplier les privatisations, d’œuvrer à la déréglementation financière, d’asservir la presse au capital, etc… Bref, de laminer tout ce qui, de près ou de loin, représente une quelconque entrave à ces marchés qui se piquent de gouverner nos vies.
Qui mieux que Jean-Luc Porquet, coordinateur de l’ouvrage, pour en parler ? Nous avons rencontré ce journaliste rappelant avec une jolie verve - dans le livre comme dans ses chroniques au Canard - que « face à cette entreprise de démolition systématique, il faut imaginer des voies nouvelles et de nouvelles résistances ». Le mieux, c’est de lui laisser la parole…
Ce livre, il vient d’où ?
En mai 2009, je me suis rendu au rassemblement des Glières : ce fut une journée vraiment magnifique, avec des gens formidables. La veille déjà, j’avais été convié à une grande tablée, me retrouvant en compagnie des anciens résistants Stéphane Hessel, Raymond Aubrac et de l’écrivain John Berger. Stéphane Hessel - au passé de héros, résistant, arrêté par la Gestapo, déporté - était juste en face de moi, et cet homme de 93 ans faisait preuve d’une vivacité impressionnante, avec quelque chose de juvénile, d’optimiste. Une telle présence – héroïque et engagée – ne s’oublie pas, surtout quand elle se double d’un enthousiasme que beaucoup d’entre nous ont perdu.
Le lendemain, nous étions 4 000 personnes à participer au rassemblement. Le temps était magnifique. Juchés sur la petite plate-forme d’une camionnette, Stéphane Hessel, Raymond Aubrac, Alain Refalo (l’un des premiers enseignants "désobéisseurs") et le psychiatre Michaël Guyader ont donné à entendre des interventions aussi brèves que fortes. Hauteur de vue, combativité, absence de complaisance : c’était impressionnant. Et puis, il n’y avait pas ce côté boutiquier où chacun arrive avec son petit autocollant, sa petite banderole, son officine à défendre : les organisateurs avaient demandé aux participants de venir sans tract, sans l’appareillage habituel du militant. Bref, il y avait quelque chose de très fort, de vivant.
Exactement ! J’en ai fait un papier pour Le Canard, dans lequel j’évoquais le texte des Jours Heureux, le programme du Conseil national de la Résistance. Après la publication de l’article, un copain m’a dit : « Les Jours Heureux, je ne connaissais pas du tout. Il faudrait rééditer le programme du CR. » Ça m’a fait réfléchir. S’il était inutile de rééditer un texte de dix pages qu’on trouve facilement sur le net, ça valait par contre le coup de le remettre en perspective, de raconter cette journée, cette résistance face à une imposture criante. J’ai pensé que ça pourrait donner un bouquin que j’aimerais lire. Je suis donc allé voir les membres de l’association Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui, pour leur proposer de publier le programme, de lui apporter un éclairage historique – comment il a été écrit et mis en actes - , puis de montrer comment les principaux points ont été (ou sont en voie d’être) sabordés méthodiquement.
Ils ont accepté l’idée. Ne restait plus, alors, qu’à choisir un éditeur - ils ont préféré un éditeur avec du répondant, qui déborde du réseau militant et puisse proposer une grande diffusion, à un petit éditeur engagé : ça a été François Gèze, de La Découverte. Lui et moi avons contacté des journalistes ou historiens susceptibles de participer à l’ouvrage - en l’espèce Emmanuelle Heidsieck [4], qui a écrit le très intelligent roman Il risque de pleuvoir, François Ruffin [5], Martine Orange [6], qui a une puissance de travail et de synthèse impressionnante, et l’historien Olivier Vallade. Ensuite, ça a été très vite, ça s’est enchaîné : en trois mois, le bouquin était fait.
C’est un ouvrage qui montre bien, dans la lignée de la réflexion de l’historien Nicolas Offenstadt, tout le travail qu’il faut mener contre la récupération des symboles et pour le respect de l’histoire...
Oui, et c’est finalement un peu grâce à Sarkozy - il faut lui dire « merci » pour cela. En ce qui me concerne, le déplacement présidentiel aux Glières m’a permis de retrouver le programme du CNR ; je connaissais son existence, mais j’avoue qu’il ne me parlait pas spécialement, que j’étais un peu passé à côté.
Il m’a donc permis de réellement découvrir ce texte court, concis, programmatique, ce texte issu d’un rêve, d’une vision, écrit dans des conditions terribles, au péril de la vie des auteurs, lesquels y disent l’essentiel de ce pour quoi ils se battent. Cela lui donne une force et une émotion qui nous parlent toujours, soixante ans plus tard.
Il faut aussi se rendre compte que tout ce qu’on appelle le modèle social français est - en grande partie - issu de ce petit texte : il n’a pas été seulement une vue de l’esprit, il a eu une réelle portée. Et en même temps, c’est une source d’une certaine pureté, d’une pureté originelle dont on rêve tous un peu, qui ne soit pas embrouillée par les querelles de partis et de boutiques.
Vous croyez que c’est pour ça que le sujet semble dans l’air du temps, que les gens s’y intéressent ?
Oui. Il n’y a plus de grands penseurs, d’intellectuels contemporains apportant réellement de la vie et de l’espoir – à moins de croire que le maoïsme à la Badiou ou L’Insurrection qui vient en sont porteurs ! Face à ce désert, on cherche quelque chose de lumineux dans l’histoire, une pensée pour se ressourcer.
Vous plaisantiez un peu avant en "remerciant" Nicolas Sarkozy. Et c’est vrai, il arrive à ressouder les gens contre lui. Ce qui revoie à cette déclaration très connue de Denis Kessler, où il invite à « défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la résistance ».
Il faut rappeler que cette déclaration date d’octobre 2007, soit quatre mois après l’élection de Sarkozy et qu’on était alors en pleine Sarkomania. Il venait d’être élu triomphalement - c’était l’époque bling-bling, celle du yacht de Bolloré ou du « nouveau » 14 juillet. Et il pensait vraiment être l’homme d’une totale rupture, pouvoir tout changer parce qu’il n’y avait plus personne en face et que la gauche était carbonisée.
C’est vrai que c’est finalement formidable qu’un homme comme Denis Kessler ait révélé la cohérence du projet sarkozyste. Il s’est senti suffisamment en position de force pour dire : « Ce qu’on va faire, c’est casser 1945. » C’est la même chose pour un Sarkozy, à la fois complètement brouillon et maître de l’enfume : c’est sa mise à nu qui est intéressante.
Pour le côté "enfume", il y en a une très bonne illustration dans le discours de Sarkozy à Versailles, quand il se présente comme « l’héritier » du Conseil national de la Résistance [8]. Il passe son temps à dire le contraire de ce qu’il fait.
C’est une tactique que je crois directement héritée de Le Pen. J’en parlais dans un livre, sorti juste avant l’élection de Sarkozy, un ouvrage nommé Le Petit Démagogue [9]. J’y reprenais en partie un travail que j’avais réalisé lors de l’écriture d’un livre sur Le Pen (Le Faux Parler ou l’art de la démagogie, paru en 1992), où j’essayais de comprendre pourquoi ça marche, pourquoi son discours séduit tant de gens. Je voulais mettre à jour les ficelles de son discours démagogique, les « recettes » auxquelles il avait recours.
Quand j’ai vu grimper le Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur, la ressemblance m’a paru évidente : ce sont les mêmes techniques, les mêmes ficelles, le même enfumage que ceux de Le Pen. Les mêmes simplifications, la même outrance, les mêmes dénégations du réel. La même tentation autoritaire, les mêmes pulsions. Le karcher, les voyous, la racaille…
C’est pourquoi j’ai repris mon bouquin de l’époque, que j’ai entièrement réadapté et reconstruit autour de Sarkozy. Le livre, Le Petit Démagogue, met donc en avant cette analogie des techniques. Sauf que l’élève a dépassé le maître, que Sarkozy a réussi là où Le Pen a échoué. Pour moi, ça a été une surprise : je ne pensais pas que ça allait fonctionner à ce point, que reprendre tous les vieux trucs crapuleux et crapoteux de Le Pen –à commencer par cette récupération des victimes, pour aller pleurer auprès d’elles et promettre la punition des voyous - pourrait s’avérer si payante. Mais il a réussi son hold-up, il est parvenu à récupérer tout l’électorat de Le Pen en reprenant ses ficelles.
[1 ] L’association a concocté un programme sur deux jours, avec des projections et conférences, en sus de la marche proprement dite. À consulter ICI.
[2 ] ICI l’entretien que Gilles Perret avait accordé à A11.
[4 ] Journaliste à MiroirSocial.com.
[5 ] Rédacteur en chef de Fakir et reporter pour Là-Bas si J’y suis .
[6 ] Journaliste à Médiapart.fr.
[7 ] Voici la déclaration complète, issue dans un éditorial de Denis Kessler dans le magazine Challenge du 4 octobre 2007 : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. »
Denis Kessler n’a pas été le seul à l’énoncer aussi ouvertement. En janvier 2008, l’homme d’affaires Charles Beigbeder, patron de Powéo, l’a fait aussi, ce que relevait Jean-Luc Porquet dans sa chronique du Canard. En voici un extrait : « Et puis la semaine dernière, Charles Beigbeder a remis ça. Dans une tribune au JDD (27/1), le pédégé de Poweo a affirmé, l’air de rien, que selon lui le rapport Attali permettrait enfin d’en finir avec cette France "qui continue à vivre sur un modèle fondé en 1946, à partir du programme du Conseil national de la Résistance". Tiens, tiens. Lui et Kessler, même combat. Charles Beigbeder, le prototype du jeune loup moderne. L’homme qui veut tailler des croupières à EDF en vendant de l’électricité privée aux Français. »
[8 ] Il s’agit d’un discours prononcé le 22 juin 2009, devant le Congrès : « Le modèle républicain reste notre référence commune. Et nous rêvons tous de faire coïncider la logique économique avec cette exigence républicaine. Ce rêve nous vient, pourquoi ne pas le dire, du Conseil National de la Résistance qui, dans les heures les plus sombres de notre histoire, a su rassembler toutes les forces politiques pour forger le pacte social qui allait permettre la renaissance française. Cet héritage est notre héritage commun. »
[9 ] Aux éditions La Découverte.