Vitrolles et Marignane : l’extrême droite au pouvoir
Paru dans l’Humanité du 27/04/2002
Bouches du Rhône, correspondance particulière.
Là où l’extrême droite passe, rien ne repousse. Vitrolles et Marignane, les deux communes de l’étang de Berre, ont le triste privilège pouvoir en témoigner. Le FN, puis le MNR, dirigent en effet ces deux villes depuis sept ans maintenant, et le bilan est lourd.
La mairie de Vitrolles est désormais le porte-voix de Bruno Mégret, et Daniel Simonpiéri, réélu triomphalement en 2001, est aujourd’hui en phase de " décontamination ", c’est-à-dire qu’il prépare son entrée dans la droite classique sans avoir rien abjuré de ses idées, tel un Jacques Peyrat à Nice. " Il est devenu un notable ", constate Alain Biot, président d’Alarme citoyens, la principale association d’opposants. " Mais, cela ne l’a pas empêché de se réjouir du score de Le Pen, qu’il avait pourtant trahi. "
C’est tout d’abord la culture qui est visée quand l’extrême droite est aux manettes. En un septennat, Vitrolles a perdu son bar musical " Le Sous-Marin ", exilé dans la commune proche de Gardanne, et sa directrice du cinéma " Les Lumières ", virée pour avoir programmé des courts métrages sur le sida, avant que la salle ne soit définitivement fermée. La bibliothèque de Marignane a suspendu ses abonnements aux journaux de gauche et les a remplacés par des publications d’extrême droite, a interdit sa fréquentation aux mineurs non accompagnés et a licencié sa directrice. Quant à celle de Vitrolles, son budget a baissé de 70 %.
Mais ces maires frappent aussi sur le social : fin des repas de substitution, sans porc, dans les cantines scolaires réservées aux seuls enfants dont les parents travaillent à Marignane ; répression syndicale, dont l’exemple le plus frappant a été l’agression des camionneurs en grève qui bloquaient une zone industrielle.
Les premières mesures prises par Catherine Mégret dans le domaine social sont : la fermeture de la mission prospection de Vitrolles Emploi Formation, la suppression des subventions aux syndicats et associations humanitaires, la fermeture des centres aérés, le licenciement des agents sociaux et de certains contractuels municipaux (150 agents sur 1 000 en 4 mois).
Au contraire, " Fraternité française " a reçu de fortes subventions, et la police municipale musclée toute dévouée à la cause a vu ses effectifs considérablement augmenter.
" Les associations culturelles et favorables aux droits de l’homme ont été les premières frappées, et leurs subventions reversées à des associations de chasse et de pêche ", se souvient Alain Huertas, président du MRAP 13 et du Collectif associatif Vitrolles-Marignane. " Le Sous-Marin a été muré et son équipe accusée de trafic de drogue et de fausse monnaie. L’association humanitaire Vitrolles-Kiffa a été jetée hors de ses locaux, et toutes les associations, y compris sportives, ont subi un chantage pour se débarrasser de leurs militants classés à gauche. "
Pendant ce temps, la ville s’est endettée d’une manière colossale, au point que le préfet a failli placer la ville sous tutelle et que le budget 2002 n’est pas encore voté.
" Le plus grave, c’est que tous les repères citoyens ont été détruits ", témoigne Bruno Bidet, responsable de la section CFDT des municipaux. " Les réseaux militants qui permettent aux citoyens de se référer à des valeurs d’humanité et de solidarité ont été déstructurés et cassés dès le lendemain d’élections mouvementées et violentes. "
Vitrolles est en effet aujourd’hui une ville morte, dont le nom des rues a été changé. Nelson-Mandela a été débaptisé pendant que Jean-Pierre-Stirbois et le Bachaga-Boualem faisaient leur apparition, non loin du rond-point des Anciens-d’Indochine. L’extrême droite sait frapper sur les symboles.
La maire de Vitrolles, Catherine Mégret, collectionne les condamnations judiciaires et les mois de prison avec sursis. Propos sur la discrimination raciale dans le Berliner Zeitung, prime de naissance au bébé blond, diffamations diverses parcourent son casier judiciaire.
Quant à son premier adjoint, Yves Bovero, il vient d’être mis en examen pour " diffamation, dénonciation calomnieuse et diffusion de fausses nouvelles " à l’encontre de Christian Rossi, le candidat RPR aux élections municipales de 2001. Le tract, anonyme, distribué dans toute la ville, qui portait de graves accusations contre le candidat de droite, semble provenir du même photocopieur que d’autres tracts du MNR.
" On a alerté, crié, pleurer, ça n’a servi à rien ", se souvient aujourd’hui Pascale Morbelli, militante PS et ancienne animatrice de la Charrette, association qui regroupait les licenciés de la mairie. " Nous avions déjà eu un gros choc après la défaite des municipales de 2001. Aujourd’hui, le laboratoire qu’est Vitrolles a débordé. "
Au plan politique, les droits de l’opposition sont régulièrement bafoués. " Nous sommes totalement exclus des commissions, ignorés au conseil municipal, pas invités dans les manifestations publiques ", s’enrage Guy Martin, conseiller municipal (DL) de Marignane. " Notre courrier personnel était ouvert. Pendant ce temps, la ville s’étouffe, se paupérise et se délite. La population ne s’investit plus dans la vie locale. Il n’y a plus de maison de quartier, d’animateur sociaux, de médiateurs. ·
Marignane, les seuls lieux de réunion pour la jeunesse sont les parkings sous les abribus. "
Préférence nationale anticonstitutionnelle, comme l’a répété maintes fois le tribunal administratif de Marseille, répression politique et syndicale, violence de la police municipale, désert culturel et associatif, apartheid urbain. La liste des tares de la gestion de l’extrême droite dans les villes du Sud est sans fin.
L’exemple quotidien de ces trois communes, avec Orange, à l’heure où le pays est confronté au danger devrait servir de base de réflexion pour repousser avec la plus grande force le Front national.
Marc Leras