J’ai eu l’occasion de parler de mon expérience de juré populaire de cour d’assise sur ce blog il y a quelques années (1). C’est une expérience qui vous marque et qui est loin d’être agréable, mais elle ne vous laisse pas indifférent, et je dirai même qu’elle vous transforme. On ne souhaite à personne de le vivre, mais on conseille à quiconque tiré au sort pour être juré de ne pas refuser cette responsabilité.
La notion de jury populaire est un plus démocratique dans notre système judiciaire. Au nom des sacro-saintes économies, la Ministre de la justice veut le remettre en cause. Mais est-ce la vraie raison ?
DH
(1) http://didier-hacquart.over-blog.com/article-3173602.html
La Chancellerie a confirmé hier qu'un groupe de travail étudie la possibilité de supprimer les jurés populaires lors des procès devant les cours d'assises. « C'est une piste », dit Guillaume Didier, porte-parole au ministère, qui revient déjà un peu en arrière, puisque les nouveaux « tribunaux criminels » composés de cinq magistrats professionnels ne seraient plus réservés qu'aux « crimes les moins graves ».
« C'est l'idée la plus stupide, la plus sombre et la plus antidémocratique qu'on ait eue depuis longtemps. » Au moins, avec Éric Dupond-Moretti, on a un avis tranché. Et argumenté, aussi : « Je suis prêt à me battre pour sauver l'idée de la souveraineté populaire dans la justice. C'est une bouffée d'oxygène dans le corporatisme des magistrats ! » Obsession d'un avocat souvent dévolu à la défense des criminels, et qui a maintes fois ferraillé avec la magistrature ? Pas si simple. Luc Frémiot, avocat général à la cour d'appel de Douai, autre habitué des cours d'assises, dit un peu la même chose, avec d'autres mots : « J'ai peur que sans les jurés populaires, on revienne à une forme de sécheresse, de professionnalisation. Le président, seul connaisseur du dossier, deviendrait une sorte de rapporteur pour ses collègues... » Devant la cour d'assises, autour des trois magistrats professionnels, siègent neuf citoyens tirés au sort. Ils sont douze en appel. Le projet de la Chancellerie serait de les supprimer en première instance, pour les remplacer par deux autres magistrats, mais de les maintenir en appel. Officiellement, c'est parce que les procédures sont trop longues, que les temps d'audiencement dépassent parfois un an, entre la fin de l'instruction et le procès. « Mais comment va-t-on gagner du temps ? » se demande Luc Frémiot. « En quoi est-il plus rapide de réunir cinq magistrats alors que nous en manquons déjà, plutôt que neuf citoyens convoqués selon la loi ? »
Le magistrat douaisien est d'accord avec l'avocat lillois : « On veut faire des économies. » Il est vrai que les frais remboursés aux citoyens jurés (indemnisation de salaires non perçus, remboursement de frais de trajet) coûtent cher. Mais les cinq magistrats bloqués de cette manière à longueur d'années ne feraient donc plus rien d'autre, ce qui est difficilement envisageable dans l'état actuel des choses. « Et puis, il y aurait sans aucun doute beaucoup plus de dossiers en appel », remarque Luc Frémiot. « Où serait-elle, l'économie ?
« Ces deux hommes, comme beaucoup d'autres (il est extrêmement difficile de trouver un acteur judiciaire clairement en faveur de cette réforme) craignent surtout que l'on cherche une économie de temps. « Les assises, c'est le dernier endroit où on prend encore le luxe du temps », dit Éric Dupond-Moretti. « Et si on prend ce temps, c'est justement grâce aux jurés populaire. C'est grâce à eux, à l'exigence qu'il y a à expliquer, à chercher à comprendre, que l'on juge sereinement », dit Luc Frémiot. « C'est bien beau de dire qu'on juge au nom du peuple français, conclut Éric Dupond-Moretti. Encore faut-il l'assumer... »