En son âme et conscience, la famille Delessert rend la prime Mégret
Article paru dans l'édition du 11 avril 1998.
La famille Delessert, première bénéficiaire à Vitrolles de la prime de 5.000 francs réservée aux seuls enfants de parents français, excluant les immigrés au nom de "la préférence nationale" si chère aux lepénistes, a décidé de restituer cette somme à la municipalité FN.
De notre envoyé spécial à Vitrolles.
"J’AI besoin de pouvoir me regarder dans un miroir sans être submergée par la honte. Ce n’est pas tant le regard des autres que ma conscience qui me pousse à vouloir réparer cette erreur." L’erreur, pour Véronique Delessert, cette mère de quatre enfants qui vit dans un pavillon place des Cadenières au pied du plateau de Vitrolles, est d’avoir avec son mari accepté un chèque de 5.000 francs des mains du couple Mégret.
Par honnêteté et sans pression
Il s’agit de cette fameuse "prime" réservée au nom de "la préférence nationale" par la municipalité FN pour les seuls nouveau-nés de parents français ou ressortissants de la Communauté européenne qui demeurent depuis plus de deux ans dans la ville. La famille Delessert a pris la décision de restituer publiquement, dans quelques jours, cette allocation municipale qui leur brûlait la conscience. Premiers bénéficiaires à Vitrolles, ils n’ont pas oublié ce 3 février dernier où ils se sont trouvés, malgré eux, placés sous les feux des projecteurs. Ce jour-là, Bruno Mégret profitait de la remise du chèque pour lancer une véritable campagne nationale de propagande et d’exclusion au profit du FN, quelques semaines avant les élections cantonales et régionales.
Véronique Delessert, la quarantaine, cheveux courts couleur prune et chemise verte à carreaux, nous a reçus hier en fin d’après-midi devant son domicile. Elle n’a pas souhaité en dire beaucoup plus que l’interview publiée le matin même dans "la Provence". Elle confirme mot par mot. "La richesse du monde, c’est la différence entre les peuples et non l’indifférence avec laquelle j’ai touché cette prime", affirme-t-elle. Après avoir indiqué "n’avoir jamais voté pour le FN", Véronique avoue qu’elle avait accepté les 5.000 francs "comme une bouffée d’oxygène bienvenue" après la naissance de la petite Claudia, son quatrième enfant. "J’ai cru alors que nous pouvions empocher l’argent et oublier les idées qui allaient avec." Mais très vite, le couple s’interroge, un problème personnel de conscience et d’honnêteté le torture. "Nous y pensions chaque jour, ça ne collait plus dans notre tête, il fallait sortir de cette histoire", nous confie-t-elle. Ils ont donc pris la décision de restituer la prime, tous les deux, en couple "sans aucune pression". Puis, "si la mairie n’en veut pas, nous l’offrirons à une association humanitaire ou caritative". Véronique se dit aujourd’hui soulagée. Elle revendique maintenant un peu de tranquillité.
Ce qui rend d’autant plus insupportable l’interpellation du premier adjoint lepéniste Hubert Fayard qui a réagi hier en ces termes : "Les déclarations absurdes, moulées dans le discours convenu des organisations anti-FN et placées dans la bouche de Véronique Delessert, montrent combien nos adversaires n’hésitent pas à exercer des pressions totalitaires pour organiser des manipulations politico-médiatiques." Cette réaction de l’élu FN est jugée d’autant plus "absurde" par la mère de famille que la décision du couple a été prise en toute intimité "sans intervention extérieure" et publiée à leur seule demande dans "la Provence".
Beaucoup à Vitrolles saluaient hier soir le courage de cette famille. Comme Simone Bessade, mère et grand-mère de deux petits enfants, "alors que la famille Mégret tente de nous diviser à Vitrolles, il est extrêmement encourageant que des familles réagissent avec cette conscience". Elle est l’une des trente-trois Vitrollais qui ont récemment porté plainte au tribunal administratif pour demander l’annulation de la délibération municipale. Celle qui ose trier les enfants suivant l’origine des parents. Egalement saisi par le préfet, le tribunal administratif de Marseille doit statuer avant la fin du mois sur la légalité de cette prime.