La chute de la maison Megret
source : Le Nouvel Observateur le 25/07/2002 auteur : Claude Askolovitch
La vie de Bruno Mégret est un piteux raccourci. Avoir fait Polytechnique, de l'entrisme au RPR, avoir infiltré le FN, caressé Le Pen, trahi Le Pen, promis le pouvoir et la dignité aux cohortes de l'extrême-droite, et puis finir ainsi: toutes troupes dispersées, tous candidats humiliés, son fief vitrollais menacé (voir encadré), et son mouvement compromis dans un régicide raté ! Avoir rêvé de Napoléon et terminer avec Maxime Brunerie, l'homme qui voulait tuer Jacques Chirac! Le très intelligent, très subtil et un peu méprisant Mégret est devenu le chef d'un groupuscule dont le militant désormais le plus célèbre, Brunerie, pauvre seigneur de la race, a été maîtrisé par un papy alsacien au défilé du 14-Juillet: voilà ce qui restera du MNR.
Quelle ironie ! Quand il s'était créé, en 1999, le mouvement mégrétiste prétendait rompre avec les outrances lepénistes. Fini le «détail de l'histoire», les incongruités! Mégret et les siens voulaient être pris au sérieux.
Dans les assemblés locales, ils votaient des textes, s'inscrivaient dans la durée. Pour une partie de ses dirigeants, la rupture avec l'extrême-droite était inscrite dans l'évolution. Il suffisait de trouver le moment pour se vendre à la droite.
L'année 2002 devait les voir soutenir Chirac contre Jospin quand Le Pen, lui, pratiquerait «la politique du pire» en aidant la gauche! Rien ne s'est passé comme prévu. Mais au second tour de la présidentielle, des hiérarques du MNR ont voté Chirac contre Le Pen, alors même que Mégret, officiellement, s'était désisté pour le chef du FN! «On ne plaisante pas avec une élection, explique aujourd'hui un dirigeant du MNR, l'un des responsable de l'appareil, estimé des militants. Pas question de risquer un instant de confier la bombe A à Le Pen. Le Pen au pouvoir, nos idées auraient été ridiculisées, et la France plongée dans une catastrophe. J'ai voté Chirac, et je l'ai dit à mes amis, sans aucun état d'âme.» Ce même Chirac que Brunerie voulait assassiner.
Voter Chirac ou l'éliminer ? Etre de droite ou communier dans le rejet du «système»? Au MNR, chaque position était légitimée. Brunerie, avant son passage à l'acte, était déjà un personnage pathétique. Un nazillon en désarroi, un adepte des billevesées «radicales» qui finirent par lui monter à la tête. Mais aussi le responsable MNR du 2e arrondissement de Paris, animateur en juin de la campagne législative parisienne de son copain Cyril Bozonnet - lui-même cadre du MNR et ancien du GUD, ce groupuscule de cogneurs universitaires !
L'épouse de Cyril Bozonnet, Mathilde, secrétaire au groupe MNR du conseil régional d'Ile-de-France, est une des organisatrices de l'université d'été de Périgueux, qui verra le mouvement débattre de son avenir, à la fin août. «Maxime était un bon militant, dit-elle, c'est le système qui l'a fait basculer... Quand on travaille pour une cause, quand on voit que tout est biaisé, que 20% des électeurs ne sontjamais représentés, on se radicalise !»
Brunerie n'était pas étranger au parti. Ce jeune homme touchait à son noyau dur.
Le MNR du sage Mégret était accueillant aux dingues. Païens militants, nazis nostalgiques aux poitrines creuses, jeunes gens malades du besoin d'exister, public du très confidentiel «rock identitaire français», dont les riffs de guitare célèbrent la pureté du peuple blanc envahi...
Haïssant les Arabes et les musulmans, persuadés de l'imminence d'une guerre ethnique dans nos villes et nos banlieues; mais portant aussi le keffieh palestinien, célébrant l'Intifada et les collabos des années 1940, détestant les juifs et Israël !
En 2001, le MNR avait offert des sièges à son conseil national aux responsables d'Unité radicale, le mouvement où Brunerie apprenait à délirer ! Les «radicaux» étaient chez eux, une poignée d'exaltés, mélangés à d'autres militants qui rêvaient de simple ascenseur électoral. Dans le même parti coexistaient un Brunerie et un Philippe Adam, conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui n'attend aujourd'hui qu'une chose: être admis dans le «grand parti de droite» qui naîtra, à l'automne, de l'UMP. «J'étais dans le même parti que Brunerie... Le même parti que des fous, des nazis... Je savais que ça existait, toutes ces années, mais j'occultais. Ça ne pouvait pas marcher !»
Adam, 45 ans, prend le soleil à la terrasse d'un café en face de la mairie de Salon-de-Provence, qu'il rêve de conquérir un jour. Fils de pied-noir, marqué dès son enfance par l'exode, il devient conseiller général FN en 1989, à32 ans, et reste fier de ce succès précoce. Ici, Adam connaît tout le monde, salue un responsable du PS, copain d'école du conseiller général de droite, participe aux fêtes locales... «Elle est belle, cette ville», soupire-t-il. Soulagé, finalement, d'avoir pris une claque aux législatives, comme tous les candidats MNR. L'humiliation électorale a précipité son retour à la normalité. Soulagé d'en finir avec le mégrétisme, comme tant d'autres.
Les MNR d'Alsace s'acoquinent avec un autonomiste passé par le FN, Robert Spieler, renouant avec l'irrédentisme alsacien d'extrême-droite des années 1930! En Languedoc, André Roudil, conseiller régional et néopaïen, regrette la scission de 1999: «On ne peut plus revenir en arrière mais on a eu tort de quitter le Front. On est allé dans le mur pour satisfaire l'ambition de Mégret!» Chacun a ses raisons pour fuir le naufrage. Chacun avait eu ses raisons pour monter dans la barque.
Le MNR était trop petit pour noyer ses contradictions. Les mégrétistes pensaient pouvoir se vendre à la droite sans en payer le prix politique. Leur politesse devait leur permettre de faire l'économie d'un recentrage idéologique. Le parcours même du patron du MNR était celui d'un professionnel de l'ambiguïté. Mégret, comme son compère Jean-Yves Le Gallou, cofondateur et numéro deux du MNR, avait fait ses classes au Club de l'Horloge dans les années 1970. Ce cénacle de technocrates extrémistes prétendait refonder la droite en la prenant de l'intérieur. Mégret pratiqua l'entrisme au RPR, Le Gallou au Parti républicain, l'ancêtre de Démocratie libérale. Après 1984, l'éclosion du Front national leur donna l'envie de pondre leurs oeufs chez Le Pen. Au Front, les technocrates avaient comblé un vide. Ils étaient efficaces, capables de rédiger un programme, ou d'organiser une machine de propagande. Mégret plut à Le Pen. Il plut aussi à ceux qui ne supportaient plus le vieux chef. Mégret était tout ce que Le Pen n'était pas. Convenu. Rassurant. Méthodique. Autant le charisme lepéniste fonctionnait dans l'électorat, autant il s'essoufflait à l'intérieur du mouvement, au fur et à mesure des foucades du chef. Les fachos se voulaient notables.
La conquête de Vitrolles, en 1997, devenait le modèle à suivre.
On oublie aujourd'hui à quel point Mégret fut courtisé non seulement par les militants d'extrême-droite mais aussi par la droite, comme un possible réconciliateur, et cultivé par les médias, ravis d'attiser un clivage interne au FN ! Entre 1995 et 1998, un destin s'invente. Il est virtuel. Mais cette virtualité suffit à excéder Le Pen. A la fin de 1998, le vieux chef se rebiffe. Les mégrétistes répliquent. C'est la scission. Mégret et les siens tentent le casse du siècle: voler le Front à Le Pen dans une offensive militante et juridique. Ils sont majoritaires dans l'appareil. Ils organisent un congrès. A Marignane, en décembre 1998, ils proclament Mégret nouveau président du Front national! L'affaire finira en justice. Les mégretistes sont déboutés. Le Pen garde son sigle, son parti, la cagnotte afférente. Il a sauvé sa peau en dépassant les 5% aux européennes.
Mégret, lui, ne franchit pas la barre. Il doit créer son Mouvement national qui deviendra «républicain», MNR, dans un souci de différenciation apparente et jamais assumée. Mégret avait marqué des points en incarnant, à l'intérieur du Front, une alternative. Après la scission, il perd son utilité politique en devenant un simple imitateur.
Mégret fondera toute sa stratégie sur un pari : la disparition de Le Pen, inéluctable et à hâter, mais qui laissera en jachère un espace électoral. Il a cru, avant 1998, à une transition en douceur. Il a tenté, au moment de la scission, un vol légal. Il a mis en valeur l'adhésion à son mouvement de la fille aînée du menhir, Marie-Caroline, dont le compagnon, Philippe Olivier, rêve d'ancrage populaire et exècre son beau-père. Après les européennes, Mégret persiste. Le MNR colle au FN, le déborde même par la droite, pour en récolter un jour les dépouilles. Mégret espère que Le Pen ne pourra pas concourir à la présidentielle. Alors, son électorat se reportera, naturellement, sur le jeune parti, qui cultive son implantation locale. Alors, seulement, la stratégie de retour vers la droite pourra prendre corps. En attendant, il s'agit d'être légitime.
C'est ainsi que Mégret ne s'inscrit pas en rupture mais en continuité avec l'extrême-droite. Il accumule les marqueurs extrémistes. Lui qui admire Gianfranco Fini, le postfasciste italien qui a renié Mussolini, il se fait adouber par les vrais fascistes français. Le vieux François Brigneau, ancien milicien, antisémite militant, soutient Mégret. Pierre Vial, conseiller régional Rhône-Alpes, chef de file des néopaïens, admirateur de l'écrivain SS français Saint-Loup, organisateur de pèlerinages druidiques et de solstices aryens, contempteur de la civilisation judéo-chrétienne, annonciateur de la guerre des races, devient l'une des figures du MNR.
Jean-Yves Le Gallou, enfin, a placé des amis. Le bras droit de Mégret incarne l'ambiva-lence même du mouvement. Le Gallou est énarque, moderniste, souvent drôle, tenant de«la culture de gouvernement» d'une extrême-droite qu'il dirige au conseil régional d'Ile-de-France. Il se fait pardonner sa carrière libérale et bourgeoise au PR en collant à la base militante. Mais Le Gallou est aussi profondément extrémiste. Gendre d'un collabo français, ancien combattant sur le front de l'Est pendant la Seconde Guerre mondiale, Le Gallou est le protecteur et l'ami de nombre de «radicaux», à commencer par Me Delcroix, avocat attitré des négationnistes, qu'il protégea au FN et qu'il amène chez Mégret !
Au moment de la scission, Mégret confie l'organisation de ses troupes «jeunes» à un militant, Philippe Schleiter. Schleiter a un oncle célèbre: Robert Faurisson, le pape du négationnisme ! Nul n'est responsable de sa famille et Schleiter, de fait, ne dérape pas sur la Seconde Guerre mondiale. Pas son problème, dit-il. Il a le choix des mots. Il ne parlera jamais de «combat ethnique», comme «ces imbéciles de radicaux qui se font plaisir, ce quart-monde de la politique». A quoi bon choquer ? Schleiter préfère évoquer le «choc des civilisations». Tout est dans l'habillage. Nonobstant, il passe alliance en 1999 avec les plus durs des mouvements de jeunes, dont le GUD. Il organise un Front de la Jeunesse, pour déborder les lepénistes à la base et «étouffer les extrémistes en les embrassant». Il théorisera l'union de toutes les droites nationales. En même temps, Schleiter plaidera pour une évolution du MNR à l'italienne. «Ceux qui traitent Fini de traître ne comprennent rien aux réalités. Il fait passer des lois sur l'immigration que j'aimerais voir adoptées en France!»
Cynisme et ambiguïté.
Mégret n'en sort qu'à son détriment ! Son mouvement est à peine lancé qu'il perd ses «modérés». Marie-Caroline Le Pen et son compagnon Philippe Olivier sont les premiers à partir. D'autres restent, mais sans rôle majeur, comme Damien Barriller, conseiller régional de Paca, longtemps directeur de cabinet et plume de Mégret... Certains amis s'inquiètent auprès de Mégret du poids des païens et des radicaux. «Il faut nettoyer le mouvement», répètent-ils. Ils ne sont pas entendus.
Pour Le Pen, c'est une aubaine. Mégret le blanchit en se radicalisant. Le FN possède également ses extrémistes et ses exaltés mais ceux de Mégret sont tellement plus voyants! Le Pen fustige les «racistes» de chez Mégret. Il met en avant «son» beur, Farid Smahi, conseiller régional d'Ile-de-France. Il prépare son habillage en grand-père tranquille, qui fera son succès à la présidentielle, quand il aura obtenu ses parrainages, ruinant ainsi l'ultime espoir de Mégret. «Au premier tour, Le Pen a fait la campagne que nous lui avions demandé de faire pendant dix ans», soupire Damien Barriller.
En 2002, Mégret a pourtant bougé. Après le 11 septembre, il s'est aligné sur le soutien aux Etats-Unis. Il juxtapose le combat contre l'islamisme terroriste à la lutte contre l'islam français et les immigrés. Une manière d'accommoder le racisme antiarabe à la sauce géopolitique. Mais le soutien à Bush est aussi une passerelle vers la droite classique. Dans le mouvement, certains plaident même pour un appui à Sharon contre les Palestiniens ! Les païens, qui haïssent l'Amérique métissée et son allié israélien, reprochent à Mégret de trahir la cause. Pierre Vial quitte le MNR et va parrainer le pro-irakien Le Pen, finalement plus authentique! Mais ce passage ne change rien. Quand Vial prend du champ, les mégrétistes ouvrent leurs portes à Unité radicale. Le Pen réalise sa meilleure campagne quand Mégret joue les Charles Martel des spots télé...
Le coup de tonnerre du 21 avril foudroie le MNR. Mégret se désiste pour son rival, au grand dam de quelques proches... A quoi bon avoir quitté Le Pen pour finir comme son supplétif ! Mais Mégret n'a plus le choix. Il veut préserver quelques chances aux législatives. Il envoie le journaliste Martin Peltier rencontrer Carl Lang, l'apparatchik en chef du lepénisme. Une ambassade, en attendant d'aller à Canossa... Peltier est une figure de l'extrême-droite. Avant la scission, il avait dirigé «National hebdo», le journal du FN. Il en avait fait un brûlot fort bien écrit, imprégné d'un antisémitisme bon teint, fustigeant le «judapo», le «judaïsme politiquement correct» qui persécutait Le Pen... Peltier retrouve Lang, parle d'entente aux législatives. Lang évacue. «Si vous l'aviez emporté, vous nous auriez enfoncés...» Mégret ne peut plus se vendre à personne. Ni à Chirac, ni à Le Pen. Aux législatives, les candidats du MNR les mieux implantés sont balayés par d'illustres inconnus lepénistes. Et l'éclosion médiatique de Marine, la plus jeune fille de Le Pen, règle la question de la déshérence du Front. Mégret ne sera jamais l'héritier.
Certains s'en réjouissent. «Il faut oublier le Front, passer alliance avec Villiers et d'autres mouvements de droite», plaide Barriller. «C'est jouable, si la droite de gouvernement est molle, s'il existe un espace entre l'UMP et le FN, pense Schleiter. Autrement, il va peut-être falloir rentrer en apnée pendant dix ans...» Peltier, lui, se souvient d'un avertissement de Marie-Caroline Le Pen, au début de l'aventure mégrétiste. «Si vous ne tuez pas papa, papa vous tuera», avait-elle lancé à Mégret. Une prophétie, ou presque. Mégret n'est même pas mort tragiquement. Une fausse valeur politique subit son ultime décote.
CLAUDE ASKOLOVITCH
Vitrolles: le dernier souffle. Il a tout perdu, sauf Vitrolles, mais pour combien de temps ? Pour un tract diffamatoire diffusé en mars 2001, le Conseil d'Etat devrait annuler lundi l'élection municipale de Vitrolles, forçant les électeurs du dernier fief mégrétiste à revoter en septembre, pour mettre un point final à l'aventure de Bruno Mégret.
Vitrolles, source d'emplois, base de repli du MNR, est aussi une source de scandale pour l'ex-rival de Jean-Marie Le Pen. Son épouse, Catherine, maire de la ville, risque une inéligibilité pour plusieurs actes ou propos contestés. Et sa gestion a été épinglée par la chambre régionale des comptes, en attendant d'être examinée par la justice: des lettres appelant des élus locaux à parrainer Mégret à la présidentielle avaient été expédiées aux frais de la ville !
Outre le contexte judiciaire, la situation politique est défavorable. Aux législatives, en juin dernier, la présence d'un candidat lepéniste a empêché Mégret de figurer au second tour... Pourtant, l'élection n'est pas jouée. Dans sa ville même, Mégret pèse encore un petit 30%, le FN n'est pas assuré de pouvoir monter sa propre liste, et les MNR rassemblent leurs forces. Hubert Fayard, l'ancien premier adjoint, organisateur de la victoire en 1997, est revenu à Vitrolles, salarié par la ville pour s'occuper de sécurité.
Les militants de droite, à Vitrolles, n'ont pas de candidat crédible.
Quant à la gauche, elle est saisie de son vieux syndrome de la division: des socialistes contestent le candidat «naturel», Dominique Tichadou, conseiller général et chef de file de la gauche en 2001, et veulent le remplacer par un notable local, le docteur Obino, démocrate-chrétien passé tardivement au PS, mais poussé en sous-main par la fédération des Bouches-du-Rhône... Petites manoeuvres et luttes intestines, à deux mois d'une élection. Mégret ne doit son dernier souffle de vie qu'aux pulsions suicidaires de la gauche.