Un élu (FN) de Vitrolles est mis en cause dans une action musclée contre des routiers
Article paru dans l'édition du Monde du 19.12.97
Dans la nuit du 4 novembre, à trois heures et demie, le piquet de routiers grévistes du carrefour de l'Anjoly, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), était attaqué par un commando d'hommes en noir et casqués, peu après qu'un cortège de camions de Transport frigorifiques européens (TFE) avait quitté la zone bloquée en empruntant une bretelle en sens interdit vers la RN 113. Deux syndicalistes, assez gravement atteints, se sont constitués partie civile. La police de Vitrolles, arrivée sur les lieux après les incidents, interrogeait quelques témoins, avant que le SRPJ de Marseille, dirigé par le commissaire Catherine Lenzi, soit chargé de l'enquête par la juge d'instruction du TGI d'Aix-en-Provence, Véronique Gouton.
Jeudi 11 décembre, Gilles Lacroix, conseiller municipal (FN) de Vitrolles, adjoint au maire chargé des actions de proximité et de la vie associative, était interpellé dans le cadre de cette affaire, ainsi que Patrick Bunel, responsable des services de sécurité de la ville, et Yvain Pottiez, employé communal. Vendredi 12 décembre, Gilles Lacroix était mis en examen pour « complicité de violence en réunion, avec arme et préméditation » et « complicité de destruction de biens » par le juge Gouton, de même que les deux employés municipaux.
CELLULE DE CRISE
Lundi 15, la mairie de Vitrolles tenait une conférence de presse et publiait un long communiqué intitulé « Mise en examen d'un élu FN : Histoire d'une machination politico-policière contre la municipalité de Vitrolles-en-Provence ». La municipalité explique qu'elle avait installé durant le conflit une cellule de crise pour assurer les ravitaillements vitaux. C'est dans ce cadre qu'elle fut contactée par « une grosse entreprise de transport (...) qui menaçait de faire sortir directement ses camions semi-remorques sur l'autoroute qui longe son établissement en forçant le rail de sécurité. [Les envoyés de la mairie] se rendent donc sur le site en fin d'après-midi du 4 novembre et tentent de dissuader le chef d'entreprise de faire sortir ses camions sur l'autoroute en lui démontrant le caractère dangereux de cette manoeuvre. (...) Les contacts avec cette entreprise, la présence du responsable de la sécurité et de l'adjoint chargé des services techniques dans l'enceinte de l'établissement seront plus tard rapportés par des témoins. Et c'est ce seul fait, ô combien légitime et naturel, qui va permettre le formidable montage politico-policier qui suivra ».
Le communiqué poursuit en affirmant que le directeur de la sécurité est informé dans la nuit d'une tentative de « forçage du blocus sur un barrage routier ». Il se rend donc sur les lieux et « il s'avère que ces incidents sont le fait de la même société, visitée l'après-midi ». Autrement dit, non seulement la municipalité dirigée par Catherine Mégret n'est pour rien dans l'agression, mais elle n'a fait que tenter de calmer les esprits. Des rencontres avec les différents protagonistes de l'affaire tous désireux de garder l'anonymat, mais dont les témoignages se recoupent exactement alors même qu'ils défendent des intérêts différents laissent pourtant penser que cette opération, qui impliquerait au moins un élu de Vitrolles, pourrait avoir été montée dans le but de faire porter le chapeau de l'agression à d'autres.
La société de transport TFE dispose d'une importante plate-forme à Vitrolles. Surprise par le blocus, elle réussit dans les premiers jours à exfiltrer des marchandises dans des camionnettes. Elle cherche en particulier à livrer des produits alimentaires et pharmaceutiques périssables, comme du plasma, qui s'accumulent sur ses quais.
CASQUÉS ET ARMÉS
Au cours de plusieurs réunions tenues au début de la nuit du 4 novembre dans les locaux de TFE, il est décidé de monter une opération de plus grande ampleur qui aura lieu au creux de la nuit. La voie rapide, parallèle à l'autoroute, sera bloquée par trois voitures : deux de la société et une de la mairie, précise une personne ayant assisté à ces briefings. Au carrefour de Gaulle, hors du champ de vision de la bretelle, seront installés des hommes d'une société de gardiennage convoqués dans la soirée : ceux-ci sont en jean et blouson, et sans aucune arme.
Vers trois heures et demie le convoi se met en marche : les semi-remorques montent vers le carrefour de l'Anjoly, mais emprutent, avant de l'atteindre, cent mètres plus bas, la bretelle à contre-sens. Alertés par quelques grévistes, ceux du piquet de l'Anjoly qui avaient entendu dire qu'une opération se préparait descendent en courant vers les véhicules qu'ils regardent passer, impuissants et ensommeillés. C'est à cet instant que plusieurs véhicules de type monospace arrivent. En jaillissent des hommes tous en noir, casqués et armés de battes de base-ball qui s'en prennent à tous les présents, au point de menacer un membre de la direction de TFE. Ils cognent, remontent vers le piquet où ils frappent encore et cassent des voitures, avant de disparaître. Personne n e sait dire combien ils étaient exactement. A ce point du récit, on pourrait presque croire à une concomitance : l'opération d'exfiltration des camions d'un côté, le commando de l'autre. Mais l'affaire se corse. Un épisode survenu un peu plus tard dans la nuit semble indiquer qu'on a essayé de détourner les soupçons sur la société de gardiennage ce qui signifie dans le même temps qu'on cherchait bien à couvrir le commando. Les gardiens, en effet, qui n'ont pas vu la bagarre, se replient après le départ des camions sur le lieu qu'on leur avait indiqué, le parking de la zone commerciale, avant qu'on ne les appelle à nouveau devant les grilles de TFE. Ils franchissent les barrages discrètement avant qu'on leur dise, aux grilles de TFE... qu'on n'a pas besoin d'eux. Ils sont donc contraints de traverser une deuxième fois les barrages, surexcités par l'incident, d'autant qu'à cette heure du petit matin les nouvelles les plus alarmantes courent sur le sort des blessés : ils craignent par-dessus tout d'être reconnus. Ils savent qu'éclaterait forcément une violente bagarre qui les désignerait définitivement aux yeux de tous comme les coupables de l'action de commando.
Ce déroulement des faits pourrait encore laisser croire qu'aucun membre de la municipalité n'a participé à l'affaire. Seulement voilà : lors d'un « retapissage » organisé par la police, Gilles Lacroix a été formellement et immédiatement reconnu par des témoins présents sur les lieux et qui ne l'avaient jamais rencontré. Ils l'ont désigné comme un des organisateurs de l'opération et affirmé qu'il était présent à trois heures du matin dans les locaux de TFE. Contrairement aux allégations de la mairie, qui n'était peut-être pas impliquée ès qualité, mais dont un conseiller municipal devra bel et bien s'expliquer devant la justice.
MICHEL SAMSON