Dans la rubrique, nous vivons une drôle d’époque, je suis tombé hier matin sur une nouvelle ( ?) à la radio.
Il était question de sécheresse (aux Usa notamment) et d’impact sur les récoltes. Je pensais innocemment que le journaliste s’inquiétait sur les risques alimentaires pour la population.
Et bien non !
Le vrai problème serait celui des spéculateurs sur les denrées alimentaires qui ont des difficultés à gérer (pour plus de profits ?) les fluctuations de la météo… C’est donc vraiment du n’importe quoi. La spéculation sur les biens élémentaires nécessaires à la vie humaine est un scandale. Il est aberrant qu’il soit plus important de faire du profit, même si cela conduit des centaines de millions de personnes sur terre à « crever de faim ».
Ce qui me choque aussi, c'est que cela passe à la radio sans états d'âme du journaliste et sans aucune réflexion plus approfondie...
Bon c’était mon coup de gueule du matin.
J’en profite pour remettre en ligne un communiqué du parti de Gauche de févreir 2012 sur le sujet…
DH
Blé : chronique d’un an de spéculation
Samedi 25 Février 2012 / Louis Lermont
Nous sommes en janvier 2011 dans le premier pays importateur de blé de la planète, l’Egypte. Depuis novembre 2010 des manifestations populaires se sont multipliées pour dénoncer l’augmentation du prix de la farine et le Programme Alimentaire Mondial met en garde contre le fait que dans de nombreux pays du Moyen-Orient les manifestants brandissent des miches de pain pour exprimer leur colère face au renchérissement de leur aliment de base. La situation rappelle les émeutes de la faim de 1977 et 2008.
Comme alors, les quelques géants multinationaux du négoce désignés par l’acronyme « ABCD » (ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus Commodities, auxquels il peut être ajouté Glencore), se félicitent de leurs profits records (Cargill +63% en glissement annuel, à 4 Milliards USD) grâce au « travail » de leurs divisions de trading, confortablement installées à Genève.
Les marchés libres font une fois encore la démonstration de leur immoralité et de leur incapacité à réguler de manière juste et efficiente les échanges internationaux de matières premières agricoles. Comment en arrive-t-on à une situation si inique ?
Les prix du blé doublent
Sur le marché international de référence qu’est le MATIF de Paris, la tonne de blé s’échange à 280€ début février 2011 contre 130€ seulement sept mois plus tôt. Cet emballement est provoqué par l’annonce de l’interdiction d’exportation de blé russe du fait d’une sécheresse historique (30% de la récolte perdue et situation similaire en Ukraine et au Kazakhstan), et par la dégradation de la qualité des blés meuniers en Allemagne et en Australie. Les cours mondiaux ont donc doublé du fait d’une crainte de pénurie de blé. Qu’en est-il réellement de cette pénurie ?
En fin d’année, les estimations de l’IGC (International Grain Council) et la FAO (Food and Agriculture Organisation) font état d’une production mondiale de blé en 2010 en retrait de 4% seulement par rapport à 2009, à 653 millions de tonnes. +100% pour le prix mondial du blé contre -4% pour la production. Qui a dit spéculation ?
Le cercle infernal
Tout négociant (trader) a intérêt à voir la volatilité des prix s’amplifier puisqu’il tire profit des disparités de valeurs dans le temps (acheter bon marché aujourd’hui et vendre plus cher demain) ou bien dans l’espace (acheter bon marché en Russie pour vendre plus cher en Egypte). Bien entendu, en l’absence de moyens de régulation, ces disparités émergent naturellement puisqu’elles reflètent les déséquilibres locaux entre l’offre et la demande. Par nature la demande (consommation) est relativement prévisible à court terme, mais éventuellement illimitée, à mesure que de nouveaux usages apparaissent (plus d’élevage industriel en Chine, agrocarburants, etc). En revanche la production agricole, soumise aux aléas climatiques, est potentiellement très variable d’une campagne à l’autre, et de toute façon limitée. La sphère spéculative naît dans la précarité de cet équilibre, et attise l’instabilité pour surfer sur les variations. Un produit dont le cours est stable est donc par nature impropre à la spéculation.
La spéculation financière n’a pas le pouvoir de déclencher une flambée des prix sans une étincelle permettant de persuader les acheteurs/vendeurs de blé que l’offre et la demande sont fondamentalement et durablement déséquilibrées et qu’ils doivent accepter des prix plus haut ou plus bas. La stabilisation des cours passe donc par tous les moyens de régulation visant à assurer une coordination pérenne et rationnelle de la production et des besoins.
La dérégulation
La libéralisation mondialisée du marché, accélérée depuis la chute de l’URSS, est passée par le démantèlement de la majorité des organismes publics nationaux ou supra-nationaux de planification, le dernier en date étant celui du Canadian Wheat Board en 2011. Il n’existe quasiment plus de politiques publiques d’envergure pour la gestion de stocks d’intervention ou des infrastructures logistiques, et en particulier dans l’UE qui est pourtant le premier producteur de blé au Monde (140 Mt environ, 20% de la production mondiale), au premier rang duquel se trouve la France (40 Mt, 5ième producteur mondial). La constitution de stocks est pourtant le seul moyen de s’assurer que les besoins seront couverts en douceur d’une année à l’autre. Actuellement, les stocks mondiaux oscillent en volume autour de 3 mois de consommation mondiale, mais sont détenus en très large partie par des opérateurs privés qui entretiennent l’opacité sur leur gestion, au nom de leurs intérêts commerciaux propres. Pire, tous les intervenants du marchés jouent une partie de poker menteur vis à vis du marché en maintenant leur position (quantité de blé possédée) dans le plus grand secret, ne faisant qu’envenimer la situation.
La guerre de l’information
A la fin du printemps 2010, les majors de l’agrobusiness sont alertées par leurs équipes d’analystes (climatologues, agronomes, etc.) et leurs réseaux commerciaux, qui leur indiquent que la situation de sécheresse en Russie est catastrophique, et ce bien avant que le marché n’en prenne conscience. Celles-ci s’empressent d’acheter un maximum de blé à bas prix de façon à en avoir beaucoup au moment où les annonces officielles feront augmenter les cours. Assis sur des tas de blé et s’accaparant toutes les récoltes accessibles, ils rendent le blé... Alors que pour détendre la situation c’est précisément l’inverse qu’il eut fallu faire – relâcher des stocks sur le marché - au nom de l’intérêt général.
Contrer la spéculation
La lutte contre la spéculation et l’appropriation injuste de la valeur ajoutée agricole par une oligarchie de firmes cyniques, doit passer par la transparence des échanges, et donc la promotion du bien commun. L’augmentation de la production prônée par les lobbys céréaliers mondiaux ne fait certainement pas partie des ces propositions. De fait, les augmentations de production sont captées par des usages non-alimentaires ou par l’agro-industrie (élevage industriel, etc.). Comment agir ? En reprenant le contrôle.
Il faut un retour à la gestion publique de stocks d’intervention, une obligation de publication de la position de tous les opérateurs pour que chacun sache qui possède quoi, où et quand, un encadrement des ventes à découvert (vente de marchandises non possédée), une attribution de licences d’achat et de vente, limitées en volume, aux seuls opérateurs de la filière qui utilisent le grain à des fins industrielles, un plafonnement des prises de commissions sur la logistique (coefficient multiplicateur entre l’achat et la vente). D’autre part le soutien public aux agro carburants doit être supprimé.
Ce ne sont là que quelques exemples. La production agricole est un bien commun, et en tant que tel elle doit être gérée par des instances mandatées et légitimes, pour le bien de tous, comme le propose le Front de Gauche.
Louis Lermont