Au-delà de la vitrine qu’il veut se donner aujourd’hui, et de la dédiabolisation du FN qu’il faut dénoncer sans cesse, le programme du FN est libéral et ne va certainement pas dans le sens des classes les plus défavorisées qu’il prétend défendre.
Jean-Marie Le Pen réinterprète la devise "Liberté, Égalité, Fraternité"
LE MONDE | 30.03.07 | 16h41 • Mis à jour le 30.03.07 | 16h41
Prompt à relever les contradictions dans les discours de ses adversaires, Jean-Marie Le Pen manie lui-même l'art de dire tout et son contraire avec dextérité. Interrogé dans le quotidien lyonnais Le Progrès publié jeudi 29 mars, à propos de ce que signifie pour lui la devise "liberté, égalité, fraternité", le président du Front national ironise : "Elle dit un certain nombre d'objectifs et de vertus qu'elle propose d'observer. Il y a la liberté, puis, presque son contraire, l'égalité, et pour arranger les choses, on a ajouté la fraternité. C'est une devise qui en vaut une autre. C'est "honneur et patrie" ; "valeurs et discipline", "tiens voilà du boudin", etc."
Des mots qui contrastent avec son lyrisme lorsqu'il parlait de la République et de sa devise dans son discours de Valmy, le 20 septembre 2006. Ce jour-là, il s'était plaint de cette "vision terrible (...) de notre pauvre France où la liberté, l'égalité, la fraternité désertent chaque jour un peu plus notre sol et nos vies".
M. Le Pen est coutumier de ce genre de brouillage. On l'avait entendu en Corse, le 7 octobre 2006, fustiger la "notion de citoyen", coupable à ses yeux de "définir les collectivités humaines comme des communautés de destin plutôt que de culture" tandis que le 20 septembre à Metz, il la portait aux nues en la liant à la "patrie".
Quel est le vrai Le Pen ? Celui du Progrès et de Corse ou celui de Metz et Valmy ? Un coup d'œil à son programme lève les ambiguïtés que les discours de Metz et Valmy, inspirés par Marine Le Pen, cheville ouvrière de la dédiabolisation du FN, distillent.
La liberté, Jean-Marie Le Pen l'entend surtout au profit de l'entreprise, dont il souhaite alléger les impôts : taxe professionnelle comme impôt sur les bénéfices et sur les successions. De même, il veut refondre le code du travail pour donner plus de souplesse aux entreprises. Les travailleurs auront, lit-on dans le programme, la "liberté de travailler plus pour gagner plus" : remise en cause des 35 heures, de la retraite à 60 ans et incitation au cumul des emplois. Côté famille, il n'aborde pas la question des crèches, qui donnent aux femmes la possibilité de travailler, mais il développe longuement la création d'un revenu parental pour l'éducation des enfants à la maison.
M. Le Pen substitue la préférence nationale à l'égalité. Pour lui, il y a d'un côté les Français, de l'autre les étrangers. Aux premiers, la priorité pour les emplois, les logements et en exclusivité les prestations familiales. Aux autres, une augmentation de 35 % des cotisations par rapport à celles des Français pour bénéficier de l'assurance-maladie et l'assurance-chômage.
La société dessinée dans le programme frontiste favorise l'individualisme, la concurrence, la sélection. L'enseignement est réduit à un produit de consommation avec la création d'un chèque scolaire. Celui-ci, donné aux parents, servirait à financer l'établissement scolaire de leur choix, privé ou public, dans un contexte d'abandon de carte scolaire.
Tout cela pour permettre une "émulation" dont l'aboutissement sera la fermeture d'établissements et la remise en cause de l'école républicaine, laïque et égale pour tous. De même, l'autonomie des universités préconisée par les frontistes fait voler en éclats les diplômes d'Etat.
Côté fraternité, M. Le Pen refuse dans son programme le regroupement familial pour les travailleurs étrangers. Lui qui se veut le porte-parole des "petits, des sans-grade" démantèle le système de redistribution des richesses, revient notamment sur les prestations familiales évaluées en fonction du revenu, réduit l'impôt sur la fortune et surtout milite pour la disparition de l'impôt sur le revenu pour s'appuyer sur la TVA, un impôt sur la consommation qui touche les produits de première nécessité.