Et pendant ce temps-là, la droite danse du ventre
Article paru dans l'édition de l’HUMANITE du 30 janvier 1997.
Avant-dernier reportage sur cette ville de 38.000 habitants, au nord de Marseille, qui vote, dimanche, sur fond de danger lepéniste. Aujourd’hui, zoom sur une droite locale qui mène une drôle de campagne.
Pendant une semaine, « l’Humanité » raconte l’élection municipale de Vitrolles
ET pendant ce temps-là, la vie continue. Chez Canon, dans la zone industrielle, c’est jour de grève. Le huitième. Au bout du couloir moquetté, sur un panneau d’affichage, un portrait est épinglé. On l’appelle l’effaceur. Kinya Uchida n’est pas candidat à l’élection municipale partielle de dimanche prochain. C’est pourtant de lui, PDG de Canon France, dont parlent le plus les 80 salariés de Canon Vitrolles.
Au-dessus de chaque tête, est suspendue la menace de se retrouver sur la liste des 268 postes supprimés ou des 1.000 déplacés géographiques programmés pour l’ensemble de Canon France. C’est à coups de lessives d’emplois ravageuses, à Singapour et en Amérique latine, que Kinya Uchida a gagné ses galons d’effaceur. Les Canon locaux auraient donc de bonnes raisons de regarder d’assez loin la bataille pour la direction de cette ville de 38.000 habitants, qui prend un tour de plus en plus poisseux à la veille du premier tour.
Mais ils s’y intéressent. « Regardez ce qui se passe à Toulon depuis que le Front national a pris la mairie, fait remarquer Gérard Livolsi, cadre et élu CGT au comité d’établissement. L’image de la ville est fortement entachée, et cela crée un handicap supplémentaire sur la situation économique et l’emploi. » Et de raconter : « Quand on va sur Paris, le simple fait de venir de Vitrolles nous colle déjà une étiquette. Alors vous imaginez ce que ce serait si... » Mais ils n’imaginent pas. « Non, ce n’est pas possible, on est trop concernés. »
Et, pendant ce temps-là, ça chauffe à La Poste. Qui sait même si les Vitrollais auront du courrier ce matin ? C’est une restructuration des tournées des facteurs qui fait mettre sacs à terre. On allonge les temps de distribution et on supprime des postes. Ce qui s’ajoute à l’explosion des contractuels éternellement sous contrat. Aux conditions de travail qui se dégradent.
Loin des municipales ? Pas tant que ça. La tête de liste de la gauche, Jean-Jacques Anglade, soutient les postiers. Ferrailleur déclaré du service public, le Front national ne pipe pas mot. Mais, plus surprenant, l’UDF-RPR Roger Guichard y va de sa promesse à la CGT de faire quelque chose. Parfait résumé d’une droite vitrollaise en état perpétuel de danse du ventre. Ou comment affirmer son ancrage dans la majorité, se revendiquer du soutien de Juppé, mais ne jamais dire un mot, ne jamais écrire une ligne sur une action gouvernementale qui met toute une partie de la population en état de souffrance.
Pour occuper un espace électoral évident entre la gauche et l’extrême droite, Roger Guichard a choisi la stratégie du « Moi je ». Les anecdotes qui attestent chez cet homme de quarante et un ans un solide penchant mégalo se racontent à la pelle. A ses colistiers, il impose comme première condition d’être seul en photo sur l’affiche de campagne. Il exhibe autant son épaisse chaîne en or Cartier que sa fonction de patron d’une entreprise locale de transport routier. Il revendique avec autant de gourmandise l’amitié du ministre et maire de Marseille Jean-Claude Gaudin que celle de Jean-Pierre Foucault, au point de porter en permanence le pin’s parlant du sacré animateur.
Mais ces quelques percées dans un show-biz qui le fascine ne font pas une politique. Or, tout laisse penser que l’influence de la droite classique pèse un peu plus lourd que les 12,48% obtenus au premier tour des municipales de juin 1995. Pourtant, curieusement, à coups de communiqués quotidiens, la campagne de Guichard dérape de plus en plus, avec arguments au ras des coquelicots, et allusions vaseuses sur la vie privée de candidats de la gauche.
Et il est probable que c’est pour corriger un tir très approximatif que les barons de la droite régionale, Gaudin et Muselier en tête, tiennent meeting demain soir à Vitrolles. Au même moment, dans une autre salle, le maire lepéniste de Marignane mettra un peu plus de poison dans cette campagne.