5 janvier 2006
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Mégret: Vous connaissez ma femme?source : Le Nouvel Observateur le 30/01/1997 auteur : Marie-France EtchegoinSur le marché de Vitrolles, Bruno Mégret promène sa femme qui promène son bouquet de fleurs. Ils s'avancent, bras dessus, bras dessous, comme à la sortie de la messe, encadrés par une dizaine de sbires en rangs serrés. Elle, en imperméable beige, foulard Chanel, serrant ses fleurs dans ses gants blancs. Lui, costume sombre et regard conquérant.Tels les nouveaux Bonnie and Clyde de l'extrême-droite provençale. Version «famille patrie», s'entend. Madame sourit derrière sa plante pendant que Monsieur détaille le programme du Front national. Madame est la voix de son mari et ne s'en plaint pas. «Il était de mon devoir d'aider mon époux», dit-elle. «Quand ma femme sera maire, précise aussitôt l'époux, elle s'occupera des affaires sociales et familiales. Moi, je serai son conseiller pour les grandes orientations.»En attendant, Monsieur et Madame font corps. Impossible de rencontrer l'un sans l'autre. Et si par malheur il est retenu à Paris, elle tient des «réunions d'appartement», à huis clos, loin du regard des journalistes. «Ma femme anime ses réunions Tupperware, en privé», dit Monsieur, pince-sans-rire.Catherine, née Rascovsky dans le 16e à Paris (un grand-père russe «mais blanc», et une grand-mère roumaine), se moque comme de sa première paire de gants de soie (elle ne s'en défait jamais quand il s'agit de serrer les mains de ses électeurs) de la promotion de la femme. Il lui suffit d'être l'avenir de son homme.«Comme le répète souvent mon mari, dit-elle, ils ne voulaient pas d'un Mégret, maintenant ils en ont deux !»Pour son malheur, Vitrolles n'avait pas assez de sa déprime de ville nouvelle, de ses 20% de chômeurs, de ses pavillons au bord de l'autoroute, de ses centres commerciaux envahissants. Désormais, c'est deux Mégret sinon rien. Bruno Mégret savoure déjà la situation comme un début de revanche.Lors des dernières municipales, en juin 1995, il avait été battu de justesse par le maire sortant, Jean-Jacques Anglade. Et puis en décembre dernier, le Conseil d'Etat a annulé le scrutin pour irrégularités.Il a aussi déclaré le candidat FN inéligible pour un an. Mais Bruno Mégret a rapidement transformé ce handicap en atout. Grâce à Madame Catherine, une «ambassadrice de charme pour Vitrolles», disent les tracts du Front. Un emballage décoratif pour Monsieur Bruno surtout, dont Jean-Marie Le Pen dit souvent qu'«il sera toujours gêné par deux tares rédhibitoires: son absence de fibre populaire et son physique».Au sein du parti, certains de ses détracteurs l'appellent même le «petit Goebbels» (dans l'esprit de ceux-là, c'est l'adjectif qui est insultant). Mégret apparaît comme un technocrate froid, un polytechnicien au verbe grinçant, un apparatchik intelligent mais sinistre.«Les médias m'ont toujours traité comme la bête immonde, explique-t-il. C'est plus difficile avec ma femme. Nous avons tout à gagner à sa candidature parce que notre parti souffre d'un déficit dans l'électorat féminin. Finalement, cette inéligibilité est tout bénéfice pour moi.»En cas de victoire, il imagine sa femme au fourneau municipal. Plus besoin de perdre de temps en inauguration de chrysanthèmes. D'autres échéances l'attendent. Les prochaines législatives (il est sûr de gagner dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône), les régionales (il se voit déjà ravissant la présidence du conseil à Jean-Claude Gaudin). Mais aussi le prochain congrès du parti, au mois de mars à Strasbourg, où deux clans s'affronteront. D'un côté, les «modernistes», emmenés par Bruno Mégret, qui verrouille l'appareil et prône une «stratégie de prise de pouvoir». De l'autre, les «anciens», un courant hétéroclite (catholiques traditionalistes, nostalgiques des ligues d'avant-guerre, héritiers des groupuscules d'extrême-droite) qu'essaie de rassembler Bruno Gollnisch, le secrétaire général.Si Catherine fait tomber Vitrolles, Bruno sera sacré nouveau conquérant du grand Sud. Celui qui aura fait la jonction avec la commune voisine, Marignane, dirigée par un maire FN, Daniel Simonpiéri, depuis les dernières municipales. Toulon, Orange, Marignane, peut-être Vitrolles... c'est dans le Midi que le Front national espère gagner le plus de batailles. Marie-France Stirbois, vaincue deux fois à Dreux, projette d'ailleurs de s'installer bientôt dans la région d'Antibes. A Vitrolles, le Front national déploie une énergie et des moyens à la mesure de cet enjeu.En fait, il n'a jamais cessé d'être en campagne. Ses militants font du porte-à-porte depuis des mois. Ils inondent la ville d'affiches, ratissent toutes les boîtes aux lettres avec leurs tracts. «Voyez, disent-ils, Marignane est passée au Front. Et pourtant, les maisons sont toujours debout.» Sur le marché, ils sont parfois presque cent, épaulés par les membres du Front national de la Jeunesse, descendus spécialement de Paris. Ils martèlent à longueur de journée les mêmes thèmes. L'insécurité, l'immigration et surtout la «corruption des élites». Ils jouent sur du velours. Depuis les dernières élections, le socialiste Jean-Jacques Anglade a été mis en examen dans une affaire de fausses factures municipales.
Devait-il prendre le risque de se représenter, alors qu'en juin 1995 il avait gagné avec seulement quelques centaines de voix d'avance? Les instances fédérales et nationales du PS ont hésité. Elles ont commandé des sondages confidentiels pour étudier l'image du maire sortant. Les résultats ? Pas très encourageants. Mais on a estimé que les autres candidats testés par la Sofres (dont Michel Pezet) n'avaient pas plus de chance. Et puis il y avait d'autres négociations en cours sur les investitures pour les prochaines législatives, régionales, sénatoriales. Des transactions complexes, un jeu subtil entre les familles du PS local.Bref, Jean-Jacques Anglade a été désigné candidat. Il a réussi à faire une liste d'union dès le premier tour avec le PC, les écologistes et les radicaux. Les communistes de Gardanne viennent lui prêter main-forte sans se faire prier. Guy Hermier, le député marseillais PC, ne répète-t-il pas partout cette maxime d'Aragon: «Quand le feu est dans la grange, fou qui fait le délicat»?
Jean-Jacques Anglade s'est mis lui aussi au porte-à-porte. Il se passionne pour l'entretien des trottoirs, écoute avec patience les plaintes de ses administrés, les enregistre sur son Dictaphone. Après les dernières municipales, on a suffisamment reproché à cet avocat rocardien, maire de Vitrolles depuis 1983, d'avoir négligé ses électeurs. On a dit qu'il était devenu mégalo, imbu de lui-même. On avait oublié que, dans cette ville où la population a triplé en vingt ans, il avait bien fallu construire des écoles, des crèches, des piscines. On ne voyait plus que le «bâtisseur fou», celui qui avait creusé l'endettement de sa commune (20000 francs par habitant), celui qui s'entourait d'un cabinet pléthorique, celui qui se promenait éternellement avec son écharpe blanche autour du cou («le petit BHL vitrollais»), celui qui faisait de la communication au lieu de s'occuper des gens. Pour un peu, on l'accusait d'être responsable de tous les maux de Vitrolles, cette ville sans âme, sans centre, sans identité, créée par les urbanistes dans les années 60. Entre les deux tours des municipales, Bernard Tapie, qui était venu lui prêter main-forte, lui faisait même la leçon en public: «Tu vois, petit, c'est pas difficile, il suffit de serrer les paluches!» Jean-Jacques Anglade semble avoir digéré l'humiliation. Il a fait son autocritique: «C'est vrai, dit-il, je n'ai peut-être pas assez mesuré le mal-être de cette ville.» Depuis juin 1995, il a instauré des comités de quartier. Il ne jure plus que par la «proximité», la «démocratie locale». Cela suffira-t-il à inverser le mouvement?
Bruno Mégret ricane. Sûr que son électorat se soucie peu de proximité. En 1995, il avait fait 43% au premier tour. Jean-Jacques Anglade, lui, avait remporté 28% des voix. Mais la gauche était partie désunie. Le candidat de la majorité, l'UDF Roger Guichard, affichait, lui, un score de 12%. Ce chef d'entreprise vitrollais se présente cette fois encore. Se retirera-t-il au deuxième tour, comme le laisse entendre Jean-Claude Gaudin? «Si le seul critère était celui de l'efficacité, confie Claude Bertrand, l'éminence grise du maire de Marseille, Guichard devrait se maintenir. Pour capter les voix de la droite et les empêcher de se reporter sur le FN. Mais la pression de l'opinion et des états-majors politiques sera telle qu'il sera sans doute obligé d'abandonner la course.»
En attendant, de jeunes militants de Ras l'Front, qui a rassemblé 1500 personnes pour un défilé dans les rues de la ville samedi dernier, essaient de plaisanter en jouant aux sept familles: «Dans la famille Mégret, je voudrais la mère. La bonne africaine. Le chien-loup.» Mais le coeur n'y est pas.MARIE-FRANCE ETCHEGOIN
Published by Didier HACQUART
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Histoire politique de Vitrolles : 1988 - 1997