A Vitrolles, une mobilisation exceptionnelle empêche le pire
Article paru dans l'édition de l’HUMANITE du 20 juin 1995.
Les uns applaudissent et s’embrassent. Les autres tournent le dos et s’en vont. Un peu avant 20 heures, dans une salle des fêtes surchauffée, les premiers résultats qui s’affichent sur grand écran annoncent que le pire a été empêché. La liste du Front national est battue. Bruno Mégret ne sera pas maire de Vitrolles. L’écart est faible. A peine quelques centaines de voix. Mais suffisant pour pousser un grand ouf ! de soulagement.
Les uns respirent, envahissent la place de la mairie. Visages et signes de complicité de ceux qui viennent de passer tout près d’une catastrophe. Le pire a été empêché grâce à une mobilisation exceptionnelle des électeurs. Le taux de participation a dépassé les 85%. Du jamais vu ici. L’urgence jusqu’au bout d’une semaine d’appels urgents. Ceux de toutes les forces de gauche et de progrès, ceux de Robert Hue et de Lionel Jospin, ceux des handballeurs de l’OM-Vitrolles, ceux des lycéens, des femmes dans les cités, des gens dans les quartiers, motivés au-delà des différences, pour d’abord empêcher le pire.
Les uns sourient, se tombent dans les bras, mais sans excès. Sans triomphalisme. La réélection du socialiste Jean-Jacques Anglade à la tête d’une liste d’union doit peu au maire lui-même, beaucoup au barrage anti-Front national. Beaucoup le disent ouvertement tout au long de ce dimanche tranquille, un dimanche de soleil, de sorties à la plage, de cars de CRS stationnés au cas où. Un homme comme Gilbert Marret, maire adjoint socialiste sortant, le reconnaît avec beaucoup de franchise : « Beaucoup de gens ont voté Mégret pour ne pas voter Anglade. C’est sa façon de gérer qui ne plaît plus. »
Les uns sont heureux mais ne pavoisent pas. Les autres ne disent rien, n’en pensent pas moins, serrent les dents, font la gueule, quittent la salle des fêtes, mais ne baissent pas la tête. Un tour n’efface pas l’autre. Mégret est heureusement battu, l’a mauvaise, annonce un recours en annulation. Arrogance intacte. A cause de la sombre victoire que deux autres lepénistes viennent de remporter à Marignane, tout près d’ici, et à Orange, pas très loin.
Les uns sont libérés, mais ne font pas comme si rien ne s’était passé. Le nombre de voix Mégret a encore augmenté en sept jours. Voix de ces femmes, ces hommes, ces jeunes qui habitent les mêmes quartiers que les autres. Sont 42% à avoir glissé un bulletin FN dans l’enveloppe orange. Sont chômeurs, ouvriers, employés, retraités, endettés, persuadés, comme le dit cette Vitrollaise, que si tout va mal pour eux « c’est à cause des Arabes à qui on donne tout, alors que nous les Français n’avons droit à rien ».
Les uns respirent. Les communistes parmi ceux-là. Ils ont tout fait pour empêcher le pire. D’autres avec eux. Dans la soirée, dans la nuit, ils retrouvent le Vitrolles qu’ils aiment.
Les résultats :
- Liste Anglade (PS) : 7466 (45,03%).
- Liste Mégret (FN) : 7113 (42,90%).
- Liste Guichard (UDF-RPR) : 2002 (12,07%).
GILLES SMADJA