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Pour mieux connaitre  l’histoire politique de Vitrolles, gérée pendant 5 années (1997 - 2002) par l'extrême droite et le couple Bruno et Catherine MEGRET, plus de 200 articles de presse sont à votre disposition (colonne de droite, rubrique "thèmes" sur ce blog). A l'heure de la banalisation de l'extrême droite, un devoir de mémoire s'impose avec l'expérience vécue à  Vitrolles.

Cette histoire politique est désormais complétée par des vidéos que vous pouvez retrouver dans le thème "l'histoire politique de Vitrolles en vidéo", dans la colonne de droite. Cette rubrique sera renseignée au fil du temps.

@ DH
5 janvier 2006 4 05 /01 /janvier /2006 08:00

La France des Mégret
 
source : Le Nouvel Observateur le 26/02/1998 auteur : Agathe Logeart

Dans le parking désert, la voiture a glissé lentement pour se garer à la hauteur de la sienne. Le passager a baissé sa vitre. Et il s'est passé un doigt sur la gorge, mimant ce que les truands appellent avec poésie «le sourire kabyle». Un crissement de pneus puis la voiture a disparu dans la nuit. Ce soir-là, Me Alain Molla s'est dit qu'il ferait un bien mauvais témoin. Il ne se rappelait ni le visage des hommes ni la marque de la voiture. Mais il n'oubliera pas le geste, ni ce froid étrange qui l'avait envahi. Il ne se trouvait ni dans le parking de son cabinet ni dans celui de son domicile. Il venait de rendre visite à des amis, de façon impromptue.
 
Les auteurs de cette très explicite menace de mort l'avaient donc discrètement suivi.
 
Du travail de professionnel. On ne les a jamais retrouvés. C'était quelques jours après le procès intenté par plusieurs centaines de personnes et trois associations - le Mrap, la Ligue des Droits de l'Homme et SOS-Racisme - contre Catherine Mégret, maire de Vitrolles, pour complicité de provocation à la haine raciale après les propos sur l'inégalité des races qu'elle avait tenus au «Berliner Zeitung». Alain Molla avait été à l'origine de la procédure. Jamais dans sa carrière d'avocat pénaliste Me Molla n'avait eu à subir pareille agression. Pas même au cours du procès du meurtre de la petite Céline Jourdan, où, au côté de Me Henri Leclerc, il avait obtenu l'acquittement de Richard Roman. Pas plus lorsqu'il défend des meurtriers, des violeurs.

Au tribunal d'Aix-en-Provence, l'audience avait été houleuse. Conspué par la foule de supporters lepénistes, il avait (il se demande encore pourquoi) été traité de «corrompu», s'était fait cracher dessus. Il avait fallu l'intervention des CRS pour le dégager. Dénonçant «la kermesse», Bruno Mégret, d'ordinaire si contenu, avait fait un bras d'honneur aux militants antiracistes venus suivre le procès de sa femme.
 
Les lettres d'insultes, les messages anonymes sur le répondeur de l'avocat n'avaient cessé que plusieurs mois après le procès. «C'est un autre monde, dit Alain Molla. On sent que la règle du jeu, la règle de la démocratie, n'est pas la même.»
Le café s'appelle le Rétro. Il est au centre de Vitrolles, si l'on peut appeler «centre» ces rues où le vent s'engouffre sous les arcades, balayant des commerces qui ont toujours l'air désert et où la seule touche un peu gaie est un manège à l'ancienne qui fait hurler sa sono. C'est ici que se retrouvent le plus souvent les militants de Ras l'Front, depuis que le café-musique le Sous-Marin a été fermé par la municipalité frontiste.

Tout le monde ou presque se connaît, au Rétro. On y parle moins bas qu'ailleurs, on s'y méfie moins de son voisin. On y rit fort, même. Et ça fait du bien. Alors il rit, Ahmed Sahrane, parce qu'il vient, un an jour pour jour après son élection à la mairie, d'obtenir une nouvelle condamnation de Catherine Mégret pour injures : deux mois de prison avec sursis et 20000 francs d'amende. Après les trois mois de prison avec sursis et les 50000 francs d'amende entraînés par l'interview au «Berliner Zeitung», Mme le maire est en train de se tricoter un joli petit casier.
 
Dans un entretien au «Vrai Journal» de Karl Zéro, elle avait traité Ahmed de délinquant. Pas de chance: ancien agent de médiation de la ville de Vitrolles, Ahmed Sahrane est plutôt une victime qu'autre chose.

Le 9 février 1997, alors que le Front national venait de conquérir la ville, il s'était interposé entre des jeunes et des colleurs d'affiche du FN qui paradaient au quartier des Pins, une cité à majorité immigrée, en disant aux gamins qu'il était temps pour eux de «faire les bagages». Ils n'avaient pas aimé qu'Ahmed tente de calmer le jeu et, avec leur 4x4, avaient fait valdinguer sa moto. «Ensuite, ils sont descendus de leur voiture, alors que j'étais par terre, raconte Ahmed. Ils avaient des battes de base-ball et des lacrymos. Ils m'ont dit: "Enculé d'Arabe, tu vas mourir." Je leur ai dit que je travaillais à la mairie. Ils m'ont répondu: "Eh bien, comme ça, tu ne travailleras plus."» Ils n'avaient pas tout à fait tort, car Ahmed a été licencié. Les auteurs de l'agression ont été identifiés, l'enquête judiciaire est toujours en cours.

Guy, chômeur, a trouvé un mot sur sa porte: «On sait où tu habites, on aura ta peau.» Géraldine, animatrice à Berre, se souvient d'une manif contre la fermeture du Sous-Marin. Elle était avec deux amies. Un type du FN est sorti de sa voiture, et «c'était incroyable, il a enfilé des gants de boxe pour nous cogner». Corine, animatrice dans les transports urbains: «On est dans la démesure complète, dans la troisième dimension.» Pascale assure que pendant la campagne électorale, sur un marché, Mme Mégret l'a traitée de «traître à sa race».
 
Membres du service d'ordre du FN, gros bras du FNJ et parfois même élus municipaux ont l'injure facile. Et sexuelle de préférence. A combien de filles, déjà, n'ont-ils pas promis de «leur faire leur fête dans un coin tranquille...»."

Les caméras de surveillance installées par le maire socialiste Jean-Jacques Anglade et les appareils photo du service d'ordre du FN qui mitraillent en permanence donnent l'impression d'être tout le temps surveillé. «On a la peur et le fantasme de la peur, dit la jeune femme. Les seuls qui arrivent à s'exprimer sont ceux qui ont un boulot qui ne les met pas en situation de danger.»
 
Sitôt installé à la mairie, le FN a fait un grand ménage. Le personnel municipal est passé de 950 à 780 titulaires. La plupart des cadres de la fonction territoriale sont partis d'eux-mêmes. Quant aux licenciements ou aux contrats non renouvelés, on peine à les dénombrer: 180, comme le disent les opposants au Front, ou 78, comme l'affirme la mairie? Les indemnités pour licenciements abusifs entraînés par les condamnations devant le tribunal administratif s'élèveraient au moins à 2 millions de francs.

L'orientation est claire. La prévention, la culture, le social sont les premiers attaqués. Les animateurs de rue (5 titulaires, 20 vacataires) virés. La directrice du cinéma municipal, accusée d'organiser une programmation trop sulfureuse, licenciée. La direction du théâtre, décapitée. Les services sociaux, démembrés.
 
Une association frontiste, Fraternité française, récupère les subventions et réorganise, à sa manière, l'aide sociale. Deux centres de loisirs sur quatre ont fermé. Les maisons de quartier restent - officiellement - ouvertes, mais sans directeurs ni animateurs.
 
Les 9 élus d'opposition (sur 39 conseillers municipaux), privés de locaux dans l'enceinte de la mairie, se replient dans un bureau minuscule de la Maison des Syndicats. Ils n'ont pas de secrétariat, pas de Minitel, pas d'affranchissement pour leur courrier. Leur téléphone est restreint à Vitrolles et une partie de Marseille. Ils n'ont accès à aucun document administratif, hormis les quelques lignes annonçant les projets de délibération soumis au conseil municipal.

La police municipale, en revanche, se porte bien. Ses effectifs sont passés de 35 à 64, et un nouveau concours devrait prochainement encore augmenter les effectifs de 20 nouveaux agents. Armés de 357 magnum, vêtus d'uniformes ressemblant à s'y méprendre à ceux du GIGN, ces «ninjas» paradent en ville et dans les quartiers dans des conditions qui inquiètent les autorités de l'Etat.

Un rapport confidentiel du parquet, adressé le 5 septembre au procureur général de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, souligne ainsi que «la police municipale est, dans la vie concrète, dirigée par un policier en fonction de la police nationale de Marseille sur le compte de qui une enquête pénale et administrative a été effectuée par l'IGPN: ce policier a été administrativement suspendu». Délaissant l'îlotage pour des «modes offensifs d'intervention», la police municipale intervient «physiquement dans des conditions de légalité limites, pénétration dans des lieux publics, prise en chasse de groupes de jeunes qui s'éparpillent à leur vue, contrôles d'identité...». Alors que depuis trois ans la baisse de la délinquance urbaine est constante, les pratiques des policiers municipaux sont perçues «par une part de la population et surtout par les jeunes comme une agression qui crée une tension permanente, au point de rendre souvent souhaitée l'intervention de la police nationale».
 
Depuis un an, le parquet a relevé au bas mot 150 incidents entre des particuliers et la police municipale. Le contentieux vitrollais occupe 15% du temps du parquet d'Aix-en-Provence. Sous prétexte de réduire le train de vie de la commune - terriblement endettée -, la dotation pour les bibliothèques scolaires est passée pour chaque classe de 160 à 77 francs. 100000 francs d'économies ont été faites en supprimant l'achat de serviettes en papier pour les cantines.
 
Seule une erreur administrative a par ailleurs évité une hausse prévue de 37% pour lesdites cantines. L'élu chargé de l'éducation vient de provoquer un tollé en annonçant que la dotation municipale pour les fournitures scolaires serait amputée de 1000 francs, avant de se raviser et de concéder que le reliquat serait payé à la rentrée de septembre.

Il y a les décisions les plus voyantes: la fermeture du Sous-Marin, bien sûr, où la police municipale, entrée par effraction, a prétendument découvert trois barrettes de haschisch. La «perquisition» a été annulée par la justice.
 
Il y a ces rues débaptisées (la rue Jean-Marie Tjibaou par exemple, devenue rue Jean-Pierre Stirbois), et le nom même de la ville qui a changé: Vitrolles s'appelle désormais Vitrolles-en-Provence. Il y a «la prime au bébé blond», ces 5000 francs offerts à grand renfort de publicité et en toute illégalité aux parents dont l'un au moins est français ou européen.

Mais il y a aussi tout ce qui ne se voit pas. Au quartier des Pins - 1300 logements, 6000 habitants, parmi les plus défavorisés de Vitrolles -, la régie de quartier, qui employait 19 personnes de la cité payées un peu au-dessus du smic, est en train de mourir. La ville, petit à petit, a supprimé les subventions puis résilié ou refusé de renouveler les marchés d'entretien contractés avec la régie, la maintenance des aires de jeu des enfants, l'enlèvement des déchets encombrants, l'entretien des cages d'escalier: 19 chômeurs supplémentaires et un peu plus d'abandon et de crasse... «Ce n'est pas une attaque contre la régie, mais contre le quartier, commente Alain Castan, son président.
 
Contre ces gens, qui - c'est comme ça qu'on nous a parlé d'eux à la mairie - jettent de toute façon leurs ordures par la fenêtre...»

Evidemment, le climat peu à peu se dégrade. Alors que le vandalisme avait pratiquement disparu grâce à l'action des animateurs de rue, il n'y a plus de jour où un Abribus ne soit détruit. «Le Front laisse mourir ceux qui ne l'intéressent pas», commente Alain Castan. La mort lente du mépris et de l'abandon.
 
Agathe Logeart
 
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Published by Didier HACQUART - dans Histoire politique de Vitrolles : 1997 - 1998