Bruno Mégret joue son va-tout dans la bataille de Vitrolles : « Fraternité française » à l'écoute des Vitrollais
Par Michel SAMSON, article paru dans l'édition du Monde du 30 janvier 1997
Quand on demande à Bruno Mégret ce qui explique l'audience du Front national à Vitrolles, il avance d'abord des réponses d'ordre sociologique : cette ville-dortoir, aux équipements nombreux, a été rattrapée par la crise sociale, et le maillage opéré par les socialistes et par Jean-Jacques Anglade lors de ses premiers mandats s'en est trouvé cisaillé.
C'est sur ces ruines, et constatant qu'il atteignait des scores impressionnants sans travail de « terrain », que le Front national a entrepris de s'implanter durablement à partir de 1994. Faisant le diagnostic que les associations ne représentaient plus grand-chose, les amis de M. Mégret ont entamé la constitution directe d'un réseau plutôt que d'essayer de prendre la direction des organismes existants.
Un premier cercle de fidèles, qui oscille entre deux cents et trois cents personnes, s'est donc rapidement constitué. Il est présent aux banquets, galettes des rois et autres choucroutes-parties, où convivialité et discours politique se marient pour offrir aux gens, souvent peu politisés au départ, une sociabilité qui leur manque.
La voix de cette implantation a été un « quatre pages », Allez Vitrolles !, qui en est à son vingt-deuxième numéro. Ce mensuel, où figure systématiquement la photo de M. Mégret en « une », a servi d'abord à installer la notoriété locale du numéro deux du Front national (on y voit son épouse, Catherine, tête de liste aujourd'hui en raison de l'inéligibilité du délégué général, dès janvier 1996), mais il a surtout été le véhicule d'informations, vraies, exagérées, tronquées ou totalement inventées, qui font de ce journal un compromis explosif entre une feuille à scandales et un tract d'agitation politique.
On y apprend, par exemple, que les drogués se réunissent « par dizaines » dans tel quartier ! Une dame, évidemment anonyme, a été « expulsée de sa chambre » d'hôpital alors qu'elle la partageait avec une « malade d'origine maghrébine ». Un manutentionnaire est empêché de dormir par des soirées « exotiques », et son véhicule a été abîmé à deux reprises.
La chronique des mésaventures judiciaires de M. Anglade est tenue par le menu, comme sont régulièrement rappelés les noms de toutes les personnes en examen. Quant à l'article de décembre 1996 censé exposer pourquoi le Conseil d'Etat a cassé l'élection de 1995, il reprend non pas l'arrêt lui-même, mais l'argumentation de M. Mégret demandant l'annulation du scrutin, ce qui est passablement différent. Enfin, une « brève » du numéro 19 annonçait que « Catherine Mégret [était] en tête dans les sondages », affirmation condamnée par la commission nationale des sondages, qui n'a trouvé trace nulle part de cette prétendue enquête.
Le Front national a su créer autour de lui un réseau de sympathies et, surtout, réussi à le faire savoir dans toute la ville
Un petit placard grisé apparaît aussi, régulièrement, sous le titre « Bruno Mégret se bat pour aider les Français dans la détresse ». On y lit : « Vous avez des problèmes de logement, d'impôts, d'aides sociales, de surendettement ? Nous vous conseillerons. Permanence de Fraternité française chaque mardi. » Suivent adresse et numéro de téléphone. Le chef de file du Front national estime que l'action de cette association caritative, pilier de son travail local, a été décisive.
Josette Clément, retraitée, s'y consacre à plein temps. Elle montre volontiers un classeur bien garni de dizaines de fiches d'intervention. Tous les mardis donc et sur rendez-vous, elle reçoit des gens en difficulté. Bien qu'elle ait lourdement insisté, lors de la présentation des listes, sur l'aide « aux Vitrollais français dans la détresse », elle assure au journaliste qu'elle ne demande aucun justificatif de nationalité à ceux qui viennent à elle.
Son action commence par l'écoute. Selon elle, en effet, les désemparés souffrent d'abord des contacts trop froids avec les administrations et, même, avec les assistantes sociales que la plupart d'entre eux ont déjà rencontrées. Elle leur explique, ensuite, ce à quoi ils ont droit, car ils l'ignorent souvent ; elle les aide à constituer un dossier, voire le rédige entièrement quand il s'agit d'une procédure complexe. En matière de logement, elle s'adresse aux organismes concernés et dit obtenir d'assez bons résultats sur la base des dossiers parfaitement constitués qu'elle présente sans oublier quelques relogements d'urgence dans la ville limitrophe de Marignane, dirigée par le Front national. Même chose pour les demandes d'aides spéciales qui permettent d'éviter une expulsion, ou pour ces dossiers à rallonge qu'on adresse à la Banque de France afin d'éviter les catastrophes créées par un surendettement incontrôlé.
Mm Clément ajoute quelques cas où une annonce parue dans le journal de Fraternité française a permis de trouver un emploi de magasinier ou dans un hôtel ; l'envoi d'enfants en vacances dans des familles ayant fait connaître leur offre d'accueil par le même journal ; la distribution de quelques colis alimentaires d'urgence : elle a ainsi fait le tour de son travail. Elle a aussi raconté comment le Front national a su créer autour de lui un réseau de sympathies et, surtout, réussi à le faire savoir dans toute la ville.