Le Front national mobilise toutes ses forces à Vitrolles
Par Michel SAMSON, article paru dans l'édition du Monde du 20 décembre 1996
Les élections de 1995 ont été annulées dans cette ville proche de Marseille, où Bruno Mégret avait échoué de peu face au Parti socialiste.
La gauche se prépare, unie, à tenter d'empêcher une quatrième municipalité de tomber aux mains des lepénistes.
L'annulation des élections municipales de juin 1995 à Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône, confirmée par le Conseil d'Etat, mercredi 18 décembre, va entraîner dans les deux mois un nouveau scrutin pour lequel le Front national a déjà mobilisé ses dirigeants et ses militants. Bruno Mégret, inéligible pour infraction aux lois sur les dépenses de campagne, a choisi de confier à son épouse la direction de sa liste. LA GAUCHE se présentera à ces élections partielles unie derrière Jean-Jacques Anglade (PS), le maire sortant, qui ne l'avait emporté en 1995 qu'avec 353 voix d'avance devant M. Mégret (sur 16 581 suffrages exprimés) dans une « triangulaire».
L'EXEMPLE DE MARIGNANE, ville limitrophe de Vitrolles, gérée par l'extrême droite, sera abondamment invoqué à charge dans la campagne électorale de la gauche et à décharge dans celle du FN.
L'encre n'était pas sèche de l'arrêt du conseil d'Etat annulant les élections municipales de Vitrolles, dans les Bouches-du Rhône, que la ville retentissait déjà des bruits et fureurs d'une campagne qui sera probablement brutale. Deux heures et demie après la publication de l'arrêt, mercredi 18 décembre, l'état-major du Front national se réunissait, et ses dirigeants donnaient une conférence de presse.
A la gauche de Bruno Mégret, déclaré inéligible pour un an, Jean-Marie Le Pen ; à sa droite, sa femme Catherine, à qui le délégué général passait immédiatement la parole pour qu'elle confirme : « Je conduirai la liste du Front national, dont mon époux sera le porte-parole. » « Je veux représenter mon mari, en aucun cas le remplacer », poursuivait-elle avant de s'élever « contre l'injustice, la violence, la malhonnêteté » dont l'arrêt du Conseil d'Etat est, selon elle, une claire manifestation en ce qu'il comporte, certes, l'annulation du scrutin remporté par la gauche en juin 1995, mais aussi l'inéligibilité du chef de file de l'extrême droite locale pour dépassement du plafond de dépenses de campagne autorisé par la loi.
M. Mégret lui-même stigmatisait ensuite le « complot contre les Vitrollais » fomenté par le Conseil, non sans avoir salué la « victoire » que représente pour lui l'annulation de l'élection de 1995. M. Le Pen prenait alors la parole pour s'indigner que « l'iniquité devienne règle d'Etat », avant d'évoquer des souvenirs anciens. Son ami Pierre Lagaillarde étant en prison, la femme de ce dernier avait représenté le dirigeant activiste, à Alger, aux élections cantonales de mai 1960 et avait été élue avec 93 % des voix. Tous les espoirs sont donc permis pour le Front national à Vitrolles, mais l'ambiance des élections d'Alger a été évoquée avec un partisan de M. Lagaillarde « abattu à midi par l'armée française », et dont quatre de ses « colistiers musulmans » ont été égorgés...
Ayant rappelé les thèmes centraux de sa campagne pour « rétablir la sécurité à Vitrolles, baisser les impôts, lutter contre le chômage, réduire l'immigration », M. Mégret a lancé : « On a voulu priver les Vitrollais de Mégret, ils en ont deux ! » La nuit et la bruine tombaient sur la ville nouvelle, les premières affiches du Front national ruisselaient de colle, tandis qu'un premier journal de campagne était déjà diffusé.
Le maire sortant, Jean-Jacques Anglade (PS), et ses amis n'auront pas traîné non plus pour se lancer dans la bataille. Dès 19 heures, ils étaient réunis pour un premier meeting. Deux cent cinquante personnes étaient tassées dans une petite salle, venues écouter des orateurs représentant une solide alliance de premier tour. Bruits et rumeurs de désaccord ont perturbé les dernières semaines de la gauche locale, mais la réunion de mercredi a manifesté une sorte d'union sacrée face au Front national. Tout ce que le Parti socialiste compte d'élus dans la région est venu dire son soutien au maire sortant. « UN ENJEU POUR LA RÉPUBLIQUE »
Michel Vauzelle, maire d'Arles, représentant le groupe socialiste du conseil général ; Lucien Weygand, président de ce conseil ; Henri d'Attilio, maire de Châteauneuf-lès-Martigues et député des Bouches-du-Rhône ; Vincent Buroni, trésorier de la fédération, représentant le premier secrétaire ; d'autres encore ont pris la parole, à tour de rôle, pour se « mettre à la disposition de Jean-Jacques Anglade » et pour dénoncer le « quotidien du fascisme ordinaire » à l'œuvre dans les trois villes dirigées par l'extrême droite, Toulon, Orange et la cité limitrophe de Marignane.
Tous ont souligné l'enjeu « formidablement important pour les Vitrollais mais, surtout, pour la République » de la campagne qui s'ouvre. Un responsable régional de la CFDT a recensé les méfaits des municipalités FN en activité, tandis qu'un représentant du Parti radical-socialiste a apporté son soutien. Un adjoint communiste de Vitrolles s'est félicité encore de l'alliance réalisée dès le premier tour, avant que prenne la parole le récent vainqueur du Front national dans la circonscription législative voisine, Roger Meï (PCF), maire de Gardanne.
Son éternelle écharpe blanche jetée sur un costume gris, M. Anglade a conclu la réunion en soulignant qu'« on peut être invalidé tout en étant innocent ». A ses yeux, la situation est meilleure qu'en 1995 : cette fois, la gauche et les progressistes sont unis dès le premier tour et, désormais, les électeurs connaissent la vanité des promesses du Front national et la façon dont ses hommes, au pouvoir, « diminuent les aides sociales » et mettent en œuvre une politique « en rupture avec les valeurs républicaines ».
Une Marseillaise entonnée d'une voix sûre par M. Anglade a achevé la réunion. Et donné, avec ses couplets vengeurs, le ton d'une bataille où les soldats seront féroces.