Soixante litres pour 1,50 euro, pourboire compris ! Les Vénézuéliens règlent le plein d'essence avec la ferraille sortie de leurs poches, et remplissent les réservoirs des 4 x 4 flambant neufs qui engorgent le centre de la capitale pour un prix inférieur à celui d'une bouteille d'eau.
En République bolivarienne du Venezuela, le carburant est subventionné à 98 % par l'Etat et les 700 000 barils par jour consommés dans le pays sont vendus à un coût symbolique par rapport au marché. Le reste de la production quotidienne, évaluée à 2,4 millions de barils, est exporté au prix fort - à 70% vers les Etats-Unis - et alimente les fabuleuses réserves en devises du pays. Ainsi la Banque centrale finira-t-elle l'année avec 39 milliards de dollars (30 milliards d'euros) en caisse, tandis que les réserves du Fonds de développement national (Fonden), un organisme gouvernemental créé en marge du système financier traditionnel, se monteraient à 25 milliards de dollars.
Peut-être bien plus mais «personne ne connaît les vrais chiffres», déplore Rafael Muñoz, économiste dans une banque internationale et professeur à l'université centrale du Venezuela. Et de préciser : «Depuis cinq ans, le gouvernement a mis en place une gestion fiscale parallèle hors de tout contrôle. Ce qui lui permet de financer d'énormes dépenses publiques largement vers le social. De fait, toute l'économie est subordonnée à l'objectif politique.» Le tour de passe-passe s'effectue à travers Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), entreprise nationale qui reverse une partie de ses bénéfices au Fonden. Puis le fonds distribue l'argent aux misiones créées dans les zones les plus pauvres, en faveur de l'éducation, de la santé, de l'alimentation, de la rénovation de l'habitat, de «banques populaires» ou de coopératives ouvrières.
Bidonvilles. D'après les estimations des experts, 85 milliards de dollars auraient été affectés en cinq ans aux programmes d'aide, une première dans un Venezuela habitué à la coexistence paisible entre l'arrogante richesse des beaux quartiers et la misère des ranchitos (bidonvilles) qui les cernent. On peut y ajouter les dizaines de milliards de dollars affectés par le gouvernement du président Hugo Chávez à l'aide internationale, dans le souci d'exporter sa «révolution» (rachat d'une partie des dettes argentine et équatorienne, aide à la Bolivie, fourniture de pétrole bon marché à Cuba, au Nicaragua, au Honduras...).
Arsenal. Arrivé au palais Miraflores, l'Elysée local, il y a dix ans avec un baril à 7 dollars, Chávez a bénéficié d'un boom pétrolier qui lui a permis de financer ses projets vers «le socialisme du XXIe siècle», de payer les salaires de 3 millions d'employés d'Etat, de s'offrir un arsenal militaire russe et chinois et... de rester populaire. Mais la chute des cours, liée à la récession mondiale, est un coup de semonce à Caracas. Le budget 2009 a été calculé sur la base d'un baril vénézuélien à 60 dollars alors qu'il en cote aujourd'hui moins de 45 (1). Le Venezuela plaide donc au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, avec l'Iran, pour une nouvelle réduction de la production d'un million de barils par jour pour soutenir les cours. C'est la position ce samedi au Caire lors de la réunion du cartel.
«Cette réduction devra intervenir avant la fin de l'année», estime Rafael Ramírez, ministre vénézuélien de l'Energie, soucieux de maintenir un pétrole élevé «pour les riches» afin de continuer à remplir les caisses de l'Etat. D'autant que son pays, dont la croissance moyenne annuelle flirte avec les 10 %, doit faire face à une forte demande interne de biens de consommation. La production nationale hors pétrole étant «ectoplasmique», cette demande est satisfaite par les 48 milliards de dollars annuels d'importations. Viande, sucre, farine, café, mobilier, habillement, électroménager, la plupart des articles vendus dans les magasins des grandes villes sont importés à grand renfort de pétrodollars. Le Venezuela de Chávez ne peut pas se permettre une chute prolongée du brut.
(1) Inférieur de 5 dollars au cours du brut léger en raison des difficultés de raffinage.
Libération.fr du 29/11/08, CARACAS, envoyé spécial GÉRARD THOMAS